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totalité. Le bon traitement, la douceur, la discipline de l’existence, la régularité du travail, la liberté de conscience absolument respectée, ont produit leur effet. L’apaisement s’est fait dans ces âmes inquiètes, l’esprit de révolte s’est éteint, le cœur s’est dilaté sous l’influence des bontés maternelles. « Le petit troupeau marche tout seul, me disait la supérieure, il est rare que je ne sois pas satisfaite. » Une fois dehors, libérées de la règle, livrées à elles-mêmes, en condition, restent-elles ce qu’elles ont promis d’être, probes et honnêtes ? Oui, et on en a une preuve qui ne laisse aucun doute. Les médecins aliénistes reconnaissent qu’un de leurs malades atteint d’affection mentale ou nerveuse est radicalement guéri lorsqu’il conserve pour ceux qui l’ont soigné, pour la maison dans laquelle il a été traité, une gratitude constante, et dont l’expression cherche les occasions de se manifester. Il en est de même pour les malheureuses dont je parle ; leur reconnaissance est en raison directe de leur persistance dans le bien. On ne s’y trompe pas ; on sait que toute femme qui profite de ses jours de congé pour venir voir la supérieure, la remercier, qui s’informe de ses anciennes compagnes et regarde avec attendrissement la petite maison où elle a été recueillie, on sait que cette femme est dans la bonne route et qu’elle n’en déviera pas. Presque toutes celles que l’on a placées dans les circonstances que je viens de dire reviennent et témoignent à leur passé un sentiment qui est un gage pour leur avenir. Le fait est à signaler, car en général on aime les gens pour le bien qu’on leur fait et non pour le bien que l’on en reçoit.

La maison, lorsque je l’ai visitée, contenait 115 femmes, ce qui est à peu près le chiffre normal et ce qui est incompréhensible, car il est inexplicable qu’un si grand nombre de personnes paissent être comprimées sans étouffer dans un espace si restreint ; 115 femmes à héberger, à nourrir, à vêtir pendant les trois cent soixante-cinq jours de l’année, cela coûte cher. Elles ont beau travailler courageusement au profit de l’œuvre, l’œuvre ne pourrait subsister si elle n’avait d’autres ressources que les produits de l’ouvroir. J’ai entre les mains les comptes de 1883 ; ils sont intéressans à faire connaître et permettront de surprendre la charité privée sur le fait. Les dépenses se sont élevées ai chiffre de 50,628 fr. 40, ce qui est bien peu, car le loyer compte déjà pour 8,500 francs et les dons en linge et en vêtemens pour 3,300 francs. Le produit du travail, probablement soumissionné par un entrepreneur, représente 19,000 francs ; l’écart est considérable, pour faire face aux exigences de l’Hospitalité, il faut ajouter 40 000 francs : où les trouver ? Le ministère de l’intérieur accorde une subvention de 2,000 francs, et la préfecture de police qui, nous l’avons vu, est en relations de bienfaisance avec la maison d’Auteuil, lui donne