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les rapports économiques du pays; on fait du mauvais socialisme, la situation s’empire au lieu de s’améliorer.

Maintenant, en ce qui concerne les ouvriers, il faut bien le dire, ils sont un peu les victimes de leurs propres fautes. Au lieu de se contenter de la hausse naturelle des salaires qu’amenait le progrès de la richesse des années dernières, ils ont voulu les faire hausser encore davantage au moyen des grèves et en imposant la loi aux patrons. Il en est résulté ce qui arrive aujourd’hui, que les patrons n’ont pas pu continuer leurs entreprises dans les conditions qui leur étaient faites, et les travaux se sont arrêtés. Les ouvriers auraient dû se souvenir aussi, dans les temps prospères, de cette parole de l’Écriture, que les vaches grasses sont souvent suivies des vaches maigres et réaliser quelques économies pour parer à leurs besoins dans les temps difficiles. Au lieu de cela, ils ont préféré dépenser au jour le jour ce qu’ils gagnaient, et Dieu sait quels salaires ils ont obtenus dans ces dernières années ! Jusqu’à 7 et 8 francs par jour. La crise les prend au dépourvu : c’est assurément très regrettable. Que peut-on faire contre cela? Il n’y a que la charité publique ou privée qui doive intervenir, et encore avec toute sorte de précautions.

On parle beaucoup en ce moment de la question sociale ; on dit que l’organisation du travail laisse à désirer. C’est possible, et s’il ne s’agit que d’améliorations à réaliser, elles viendront naturellement avec le progrès de la civilisation. Mais si on prétend qu’il y a une révolution sociale à faire, on se trompe. Cette révolution a eu lieu en 1789, comme la révolution politique, et quand on a accordé la liberté et l’égalité à tout le monde, on a fait tout ce que l’on pouvait faire. Le reste dépend de la sagesse et de la prudence de ceux qui sont appelés à profiter de ces deux grands biens. Voudrait-on revenir en arrière et ressusciter les anciennes corporations? Nous suivons avec intérêt toutes les tentatives qui se font pour organiser le travail sur d’autres bases que celles du salaire; les sociétés coopératives, sous les diverses formes qu’elles ont prises, méritent assurément l’attention du philosophe et de l’économiste ; mais le succès en est bien douteux. En ce qui concerne les principales, celles de production, qui sont le grand objectif des ouvriers qui veulent s’affranchir de la loi du salaire, elles n’ont pas encore sérieusement réussi. Quelques ouvriers peuvent bien se réunir pour travailler ensemble, et quand ils sont doués de qualités exceptionnelles, qu’ils ont une conduite très régulière, beaucoup d’abnégation et de force morale, arriver à un certain résultat. Mais il n’est pas démontré qu’avec ces mêmes qualités ils n’auraient pas obtenu davantage sous la loi du salaire et la direction intelligente d’un