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LE
CHANCELIER DE L’EMPIRE ALLEMAND
ET
M. MORITZ BUSCH

Tel homme de génie affecte un fastueux dédain pour toute l’espèce humaine et ne laisse pas de tenir beaucoup à sa réputation, à l’idée que peut se faire de son caractère et de ses talens le vil troupeau qu’il méprise. Le grand politique qui est aujourd’hui l’arbitre souverain des destinées de l’Europe est un exemple frappant de cette contradiction. Il regarde l’humanité comme un aigle regarde une fourmilière, mais cet aigle est très soucieux de ce que peuvent penser de lui les fourmis. Nous ne connaissons aucun homme d’état qui ait provoqué de son vivant tant de publications destinées à nous expliquer son génie, ses intentions, ses desseins, ses méthodes, ses procédés.

A côté de celles qui s’adressent aux lecteurs sérieux, M. de Bismarck en autorise d’autres, d’un style plus familier, à l’usage des simples, du vulgaire, de la foule, et il semble avoir fait de M. Moritz Busch son vulgarisateur d’office. M. Busch excelle dans la biographie anecdotique, il a toutes les qualités requises pour cette sorte d’ouvrages. Il professe pour son héros une dévotion qui touche à la bigoterie. Le grand chancelier, auprès duquel il a ses entrées, est pour lui un être infaillible et impeccable, un dieu dont il adore les mystères et qu’il ne se permet pas de discuter. Dans notre siècle, qu’on accuse de manquer de respect, un tel exemple d’humilité portée jusqu’à l’immolation, jusqu’à l’anéantissement de soi-même, a quelque chose de rare et de touchant. M. Busch dirait volontiers à M. de Bismarck ce que disait à Faust l’honnête Wagner :