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raisons militaires. Si l’on ne veut avoir qu’une vaste garde nationale, une sorte de levée en masse qui, au jour d’une guerre, n’aura ni la cohésion, ni la force des traditions, ni le lien de l’esprit militaire, franchement, ce n’est pas la peine d’imposer au pays une charge annuelle de 600 millions pour lui laisser l’illusion d’une armée qu’il n’aura pas. C’est là toute la question que soulèvent les nouveaux projets.

Cette loi nouvelle de recrutement qu’on éprouve le besoin de se donner, qui propose tout simplement de réduire le service militaire à trois ans, de supprimer le volontariat d’un an, d’enrôler sans distinction, pour la même durée de temps, la jeunesse française tout entière, que peut-elle produire ? Elle ne préparerait sûrement pas une véritable armée, et elle commencerait, sous prétexte de démocratisation universelle, par jeter la perturbation dans la société civile en enlevant pour trois ans à ses études toute la jeunesse destinée aux professions libérales et scientifiques. Il est vrai que M. Paul Bert, qui est un homme à tout faire et même à tout défaire, qui travaille pour l’armée comme pour les instituteurs primaires, trouve un avantage dans l’obligation universelle et sans distinction. Il voit là, comme il le dit dans son brillant langage, un moyen de vexer le bourgeois égoïste, les mères aristocrates qui dorlotent leurs enfans mignons, les séminaristes, et de donner une satisfaction ou un divertissement au peuple. À la bonne heure ! voilà des raisons sérieuses, toutes militaires, vraiment politiques ! — Quant à la loi sur l’avancement qui vient d’être votée au pas de course, mais qui n’est point heureusement au bout des épreuves parlementaires, il est fort à craindre qu’elle ne trouble sans profit et sans compensation toute l’économie de la simple et forte loi de 1832 et de l’ordonnance de 1838 qui en est la savante application. Elle a la prétention de changer, de réformer, dans quelques-unes de ses conditions essentielles, l’ancien système, elle ne précise certainement pas un système bien nouveau. Elle ne crée peut-être qu’une incertitude de plus dans des affaires où la fixité de direction et l’esprit de suite sont la première garantie du succès. Ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’on sacrifie à la chimère du jour, à ce qu’on appelle l’unité d’origine pour les officiers, à l’égalité par le développement croissant d’une certaine instruction, par le passage dans les écoles de tous les candidats à l’épaulette. M. le ministre de la guerre lui-même ne l’a pas caché ; il a dit qu’à l’avenir « nul ne pourra être nommé officier en France s’il n’a satisfait à des examens et s’il n’est sorti d’une école. » Sur quoi un député s’est hâté de s’écrier que ce ne serait pas trop tôt ! C’est là, précisément, la question, qui n’est pas résolue par une interruption. Qu’on veuille développer l’instruction dans l’armée, stimuler les goûts studieux parmi les officiers, atténuer les antagonismes, les froissemens qui pouvaient naître de la diversité des origines, instituer