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millions de fois dans une urne contenant une boule noire et trente-cinq boules blanches peut être tentée. Le nombre des boules noires, comme celui des décès, différera peu d’un million, mais, tandis que l’écart moyen, pour le nombre des boules noires, sera égal à 800, celui des décès sera 86 fois; plus grand; 86 fois 800 font 68,800, c’est moins de 2 pour 1,000 de la population. Une épidémie produisant à Paris 4,000 décès pour une année pourrait, pour le département de la Seine, expliquer le coefficient 86. Le choléra de 1849 a fait périr 20,000 Parisiens.

Les lois du hasard sont invariables, ce sont les conditions du jeu qui changent. Poisson, pour les plier à tous les accidens, a cru compléter l’œuvre de Bernoulli en énonçant sa loi des grands nombres.

Pour que le hasard régularise l’arrivée d’un événement et que sur un grand nombre d’épreuves les rapports soient certains, aussi bien que la loi des écarts, il faut que la probabilité soit constante. Poisson supprime cette condition.

Un cas fictif très simple montrera la portée du nouveau principe. Une urne contient des boules numérotées, on y fait une série de tirages; mais, en remettant chaque fois la boule qu’on a tirée, on néglige d’agiter et de faire le mélange : les chances, peu à peu, deviennent inégales ; certaines boules sortent plus souvent que les autres, la théorie semble mise en défaut. Continuez, dit Poisson; pour prolongé que soit le désordre, il est embrassé lui-même dans la loi des grands nombres ; certaines boules sont dessus, vous les verrez dessous un autre jour; l’homme peu soigneux à faire le mélange aura un successeur plus consciencieux ou dont la négligence, qu’il faut prévoir, profitera à des combinaisons nouvelles; tout à la longue se compensera. Citons ses propres paroles : « Les choses de toute nature sont soumises à une loi universelle qu’on peut appeler la loi des grands nombres. Elle consiste en ce que, si l’on observe des nombres très considérables d’événemens de même nature, dépendant de causes constantes et de causes qui varient irrégulièrement, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, c’est-à-dire sans que leur variation soit progressive dans aucun sens déterminé, on trouvera entre ces nombres des rapports à très peu près constans; pour chaque native de choses, les rapports auront une valeur spéciale dont ils s’écarteront de moins en moins à mesure que la série des événemens observés augmentera davantage et qu’ils atteindraient, s’il était possible de prolonger cette série à l’infini. »

Tel est le résumé fait par Poisson lui-même d’une découverte qui se distingue bien peu des lois connues du hasard, et