Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le contrôle général fut rétabli et fut confié à Law, qui conserva la direction de la banque et celle de la compagnie des Indes. La banque était devenue un service financier de l’état : on comprend donc que le contrôleur-général ait pu en conserver sans intermédiaire l’administration ; mais la compagnie, avec ses nombreuses entreprises et ses milliards d’actions, était une société privée : si elle avait pu se faire attribuer le bail des fermes générales, parce qu’il était alors d’usage d’affermer le recouvrement d’une partie des impositions, elle était placée à ce titre, non sous l’autorité, mais sous le contrôle du ministre, et Law ne pouvait se contrôler lui-même. Sa nomination au contrôle-général est un signe du temps où elle a pu être faite. « Le murmure fut grand, dit Saint-Simon, de voir un étranger contrôleur-général, et tout livré en France à un système dont on commençait à se défier. Mais les Français s’accoutument à tout. »

La spéculation salua l’avènement de Law au ministère des finances en faisant monter dans la soirée les actions à 18,000 livres. Quelques jours après, le nouveau contrôleur-général ne crut pas compromettre l’autorité publique dont il était revêtu en se rendant, accompagné de plusieurs grands seigneurs, rue Quincampoix, où sa présence et ses encouragemens ranimèrent encore la confiance, mais elle ne dura pas.

Le cours de 18,000 livres ne put se maintenir et les actions baissèrent. Le bureau que la compagnie avait ouvert les acheta à 9,600 livres et les paya en billets qu’on allait aussitôt convertir en numéraire à la banque, dont la réserve métallique, que les trois derniers mois de 1719 avaient accrue, ne tarda pas à être épuisée : elle put cependant satisfaire aux remboursemens qui lui furent demandés, mais quelquefois avec des retards, en ouvrant tard ses guichets, en les fermant de bonne heure, en prolongeant le temps nécessaire pour compter les espèces.

Law se trouvait en présence de la terrible difficulté de soutenir à la fois l’action et le billet : il ne recula pas, et, se faisant journaliste, il voulut exposer et défendre ses projets et ses théories dans une lettre qu’inséra le Mercure de France (de février 1720), et qui se terminait par ces paroles un peu hautaines : « Le système s’établira sans vous, parce qu’il est fondé sur des principes, et que les principes se rendent maîtres, tôt ou tard, des opinions les plus rebelles. Mais il dépend en quelque sorte du public de le faire aller plus vite et de recueillir incessamment les fruits immenses qu’il nous promet[1]. »

  1. Law, édition Guillaumin, p. 640.