Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/892

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

religions, mais entre la religion et la science, en affirmant que les miracles pouvaient être scientifiquement expliqués. Cette mission qui se poursuit parmi nous depuis quelque temps, sans que le grand nombre en ait probablement la moindre idée, a ses racines au plus profond des monastères du Thibet. Les « frères » sont persuadés que l’Occident, après avoir fait le tour de tous les systèmes philosophiques, revient au point de départ de ces systèmes. Schopenhauer et Hartmann dérivent de Çakya-Mouni : nous avons dit en commençant que l’Inde revendiquait comme sorties de son sein nos théories scientifiques les plus récentes. Le bouddhisme serait donc destiné à faire la conquête de l’Europe et du monde entier. Que ses « adeptes » se bercent de cette illusion, nous le comprenons encore, mais qu’ils trouvent des complices dans notre société, voilà ce qui semble invraisemblable : il suffit cependant pour s’en assurer de parcourir le livre qui d’Angleterre a fait son chemin en France : Isis unveiled, Isis dévoilée, ou l’ouvrage de Sinnett, Exoteric Buddhism, ou bien encore quelques numéros de la Revue théosophique, à moins que l’on ne préfère suivre le cours qui a lieu régulièrement sur ces sujets occultes devant un auditoire attentif. Nous avons assisté l’an dernier à l’une de ces réunions dont nous n’oublierons jamais la physionomie toute particulière.

Dans un appartement très correct, sous les auspices de personnes parfaitement honorables, étaient rassemblés les élémens sociaux les plus hétérogènes : d’abord, frappant l’attention par sa belle figure et son costume, un prince afghan dont les énergiques protestations contre l’Angleterre ont fait quelque bruit dans la presse ; un interprète levantin l’accompagnait; non loin d’eux étaient assis un jeune Hindou au type bizarre d’une vivacité singulière, ses cheveux luisans comme l’aile du corbeau retombant sur des oreilles percées, toute sa grêle personne exotique dépaysée d’une façon visible dans des habits européens ; un ministre protestant bien connu pour son éloquence et ses opinions libérales ; un officier de la garde de sa majesté la reine du Royaume-Uni qui échangeait avec l’Afghan des regards agressifs, et enfin, une vingtaine de personnes de nationalités diverses, les unes curieuses, mais incrédules, les autres convaincues d’avance. Pour peu que l’on ait fréquenté les séances de magnétisme ou de spiritisme, on a rencontré ces chercheurs de merveilleux que trahissent une forme de tête spéciale où phrénologiquement l’imagination prédomine au détriment de la logique et dont le regard vague sous un front obstiné est plus prompt à voir ce qui n’existe pas qu’à discerner les choses réelles. Tourguénef a peint souvent cet ordre de gens qui sourient d’un air de dédaigneuse pitié quand vous hésitez à croire au don de prophétie de Mlle X..,