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ne gagnât l’Angoumois et le Poitou. Enfin le roi, presque aussi pauvre que ses sujets, avait souvent, comme il l’écrivait à Sully, « ses chemises déchirées, ses pourpoints troués au coude, sa marmite renversée ; » après le siège de La Fère, il allait être obligé de licencier une partie de l’armée assiégeante, ne pouvant plus la payer. Les étrangers préparaient ouvertement le démembrement de la France, et les chefs des factions françaises ne songeaient qu’à s’assurer un lambeau de ses dépouilles : c’en était fait, en apparence, de l’unité nationale.

En 1610, lorsque Henri IV fut assassiné, « l’état, comme il aimait à le dire, était rétabli. » Non-seulement la guerre civile était depuis longtemps terminée, mais les traces en étaient effacées ; non-seulement les factions avaient déposé les armes, mais un gouvernement national s’était fondé sur leurs débris. Il y avait décidément, en France, un parti français, qui grossissait tous les jours. Sully, persuadé que « le labourage et le pasturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, » avait donné une impulsion vigoureuse à l’agriculture. On avait en outre fait des routes, creusé des canaux, planté des mûriers, signé quelques bons traités de commerce, établi des colonies en Amérique. Il avait fallu dépenser beaucoup d’argent, d’abord pour acheter les principaux chefs de la ligue (plus de 32 millions), ensuite pour chasser les Espagnols, enfin pour rembourser les sommes prêtées jusqu’à la paix de Vervins par la rente d’Angleterre, le comte palatin, le duc de Wurtemberg, le duc de Florence, les Suisses, la république de Venise, la ville de Strasbourg (plus de 100 millions), et cependant les finances n’avaient jamais été plus prospères : on avait pu, sans difficulté, affecter 60 millions au rachat du domaine ou à l’amortissement des rentes, on avait fait remise d’un arrérage de 20 millions sur les tailles des années 1594, 1595, 1596; les impôts ordinaires avaient été réduits, dans les deux dernières années du règne, de 30 à 26 millions, et 43 millions étaient mis en réserve dans les caves de la Bastille. A la milice bigarrée et indisciplinée du XVIe siècle qui désolait le pays par ses brigandages et troublait les opérations militaires par ses départs précipités, aux soldats « mal payez, négligez, levez à coups de baston, retenus au camp et en devoir, comme disent les Œconomies royales, par la crainte des prevosts, des prisons et des potences » avait succédé une armée de cent mille hommes, régulière et permanente, bien payée, recrutée pour plus des quatre cinquièmes sur le sol français. Loin qu’il s’agît de démembrer la monarchie française, l’Europe entière sentait notre force et recherchait notre alliance : c’était à notre tour de fournir des subsides aux peuples voisins, dont l’indépendance