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de n’attacher aucune importance aux articles secrets et répondirent à ces sages propositions par une véritable déclaration de guerre. Les calvinistes, réunis en assemblée générale à Sainte-Foix (mai et juin 1594), votèrent un règlement purement politique en vingt-huit articles, qui organisait une sorte d’association républicaine au sein du royaume. La France était divisée en dix cercles, gouvernés par autant de conseils provinciaux, dont chacun devait élire un « modérateur, » déterminer la quotité des taxes dues par chaque église et en surveiller l’emploi, tenir sur pied les gens de guerre, remplacer les gouverneurs des places de sûreté, etc. La république huguenote avait, en outre, ses assemblées générales, composées de dix députés, un par province, qui devaient se réunir une ou deux fois l’an, « selon les nécessités des affaires, » revêtues des attributions les plus étendues et même, par une disposition spéciale, d’une sorte de pouvoir législatif indéfini qui ne se subordonnait pas à celui du roi. Il semblait qu’on eût voulu exaspérer non-seulement les catholiques, mais « les politiques, » par là même empêcher les parlemens d’enregistrer le prochain édit royal, tout entraver, tout embrouiller, pousser Henri IV à quelque éclat et trouver l’occasion d’une véritable rupture.

Le roi garda tout son sang-froid. Il y avait, parmi les protestans, des modérés et des patriotes, qui craignaient cette rupture. Il s’agissait avant tout de les rassurer, c’est-à-dire d’ériger définitivement, par l’enregistrement des cours souveraines, l’édit de 1577 en loi générale. Mais celles-ci se débattirent, il était aisé de le prévoir. Il faut lire, dans le Journal de l’Estoile, le compte-rendu sommaire de la discussion passionnée qui remplit, au parlement de Paris, l’audience du 31 janvier 1595, l’édit de Poitiers n’étant regardé par les chauds catholiques que « comme une feuille de papier escrite que le roy (Henri III) avoit baillée aux huguenots pour les contenter en papier. » On y tança vertement le Béarnais a de vouloir restablir ceste nouveauté estainte, » et l’enregistrement ne fut voté que par cinquante-neuf voix contre cinquante-trois. Le parlement de Normandie résista plus longtemps et ne céda qu’après une altercation violente, lorsque Henri IV, à Rouen même, eut adressé les plus vifs reproches à son grand ami, le premier président Groulart et à plusieurs conseillers. Quand il s’agit de traiter avec le duc de Mercœur et de pacifier enfin la Bretagne, où le parlement de Rennes avait toujours empêché que l’édit de 1577 ne fût exécuté, le roi rencontra la même résistance[1], mais ne céda point et répondit obstinément qu’il regardait

  1. Mercœur demanda d’abord que l’édit de 1577 fût révoqué formellement, ensuite qu’il ne fût pas mentionné dans le traité.