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équitable ou dix mille hommes d’infanterie si la trêve qu’elles avaient obtenue quelques mois plus tôt n’était pas prolongée. L’Espagne dut, l’année suivante, reconnaître implicitement par une trêve de douze ans l’indépendance des Provinces-Unies : la Hollande était fondée.

Henri IV ne fit, à vrai dire, ni en s’alliant avec l’Angleterre et les états-généraux, ni même en formant, au mois de février 1610, sous le nom d’union évangélique, une ligue des princes protestans d’Allemagne contre la maison d’Autriche, de la politique protestante, mais de la politique française, ainsi qu’il l’a lui-même expliqué dans sa correspondance[1]. C’est pour nous son premier titre de gloire. Il s’unit à l’Angleterre et à la Hollande, non pour épouser leurs idées ou leurs querelles, mais pour abaisser la maison d’Autriche : ami de la dévote Elisabeth, mais capable de lui faire dire à un moment donné que, « comme il ne s’enquiert de ce qu’elle faict en son royaume, il ne désire aussy s’assujettir à luy justifier et rendre compte de ce qu’il fait au sien[2], » ne se dissimulant pas qu’elle fait « à ses dépens » son métier de reine et prêt à faire contre elle son métier de roi[3]; ami du pédant Jacques Ier, auquel il envoie des chevaux et qui lui envoie des chiens, mais connaissant à fond sa duplicité, ses manies, sa faiblesse, le surveillant, le méprisant et le maîtrisant.

Quels furent les instrumens de cette politique soit au dedans, soit au dehors? C’est à ce sujet que les mécontens du parti calviniste exhalent leur plus vive colère. L’auteur de la Remontrance au Roy (1593) reproche à Henri IV de « caresser » ses ennemis, tandis qu’il « gourmande et desdaigne » ses vrais amis et lui déclare que de tels procédés « effacent le lustre de sa valeur. » — « Ils (les huguenots) répliquent, écrit trois ans plus tard Duplessis-Mornay (19 juin 1596), qu’on fait pour la ligue tout ce qu’elle veut, que la cour ni les cours ne leur refusent rien, et n’y fait rien l’histoire du prodigue. Au moins, disent-ils, après avoir tué le veau gras pour eux, qu’on ne nous laisse pas la corde au cou pour salaire de notre fidélité. » Ce ne fut pas, il s’en faut, leur unique salaire.

D’Aubigné, par exemple, fut un des plus intraitables. « Notre maître, dit-il un jour au duc de La Force à moitié endormi, est un ladre vert et le plus ingrat mortel qu’il y ait sur la face de la terre. » Henri IV, qui ne dormait pas, entendit le compliment; mais, ajoute d’Aubigné, « il ne m’en fit pas pour cela plus mauvais visage ; de même qu’il ne m’en donna pas non plus un quart d’écu davantage.

  1. Voir notamment la lettre du 11 août 1597 au duc de Piney-Luxembourg.
  2. Il s’agissait du prochain rétablissement des jésuites.
  3. Voir entre autres documens la lettre à M. de Brèves, du 10 juillet 1600.