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deux cens escus par an de gages. » Crucé, qui avait essayé d’empêcher, les armes à la main, la reddition de Paris en saisissant la porte Saint-Jacques, reçoit « un billet de pardon. » Les bourgeois qui avaient jadis fait les barricades, chassé le dernier Valois, constitué, comme au temps d’Etienne Marcel, une sorte de fédération communale, soutenu pendant près de cinq ans une guerre terrible contre Henri de Bourbon et qui, s’il avait usé de rigueur, auraient probablement murmuré, commencèrent à trouver que la ligue avait eu tous les torts et firent « remonstrer au roy » que tant de clémence « offensoit ses bons subjects et serviteurs et lui portoit préjudice : » — « Si vous et tous ceux qui tenés ce langage, leur répondit-il, disiés tous les jours vostre patenostre de bon cœur, vous ne diriés pas ce que vous me distes de moi... S’il y en a qui se sont oubliés, il me suffit qu’ils se reconnoissent, et qu’on ne m’en parle plus. » Les Parisiens ne cessèrent plus d’en parler : après l’attentat de Chastel, ils frémirent en pensant aux évènemens de 1588, aux Suisses égorgés, aux quarante chefs de la commune qui avaient permis de ne pas payer les loyers, au pillage des hôtels par la populace mêlée aux soldats des Guises, à la guerre civile, au siège, à la famine, aux Espagnols et, se sentant décidément plus royalistes que leur maître, recommencèrent leurs doléances. «Fust ce mesme jour (2 janvier 1595), raconte L’Estoile, suppliée Sa Majesté par messieurs de la ville de Paris en corps trouver bon qu’on chassast de la ville les ligueurs et qu’il estoit de nécessité d’y pourvoir, desquels le roy respondit sommairement qu’il ne pouvoit trouver bon qu’ils les chassassent de sa ville de Paris, pour ce qu’il les reconnoissoit tous pour subjects, et les vouloit traicter et aimer esgalement, mais qu’ils veillassent les mauvais de si prés qu’ils ne poussent faire mal aux gens de bien. » Ainsi beaucoup de Parisiens commençaient à regarder les dangers du roi comme les leurs et prenaient à la fois son parti contre la ligue et contre lui-même : qui l’eût cru dix-huit mois plus tôt, et pouvait-on demander davantage?

La plupart des grandes villes avaient suivi l’exemple de la capitale, et tous les parlemens (sauf ceux de Rennes et de Bordeaux), entraînés dans le mouvement, s’étaient déclarés pour la ligue. On ne concevait pas même, à cette époque, qu’il fût possible de gouverner et d’administrer sans les parlemens. Henri III avait donc, dès les premières semaines de l’année 1589, révoqué ceux de Paris, de Rouen, de Toulouse, d’Aix, de Grenoble, de Dijon, et transféré leurs pouvoirs politiques à des parlemens royalistes, qui siégèrent à Tours et à Châlons-sur-Marne, à Caen pour la Normandie, à Carcassonne, à Béziers et à Castelsarrasin pour le Languedoc, à Pertuis, à Manosque, à Sisteron pour la Provence, à Romans pour le Dauphiné,