Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est de sept à neuf heures du soir que les pensionnaires arrivent ; avant de se présenter au bureau vitré où se font les inscriptions, elles doivent passée entre les mains des surveillantes auxiliaires, qui, elles aussi, ont été des réfugiées dont la maison utilise les services, parce qu’elles ont fait preuve d’intelligence et de bon vouloir. On les nourrit, on les héberge, on les revêt d’une défroque à leur taille et, en échange, on leur confie quelques besognes, dont la plus délicate est de vérifier, l’état de propreté des nouvelles venues. Cela se fait rapidement, dans un cabinet attenant à la salle d’attente. On entr’ouvre le corsage et au premier coup d’œil on reconnaît si le linge porte trace de ces parasites dont le Petit Mendiant de Murillo cherche à se débarrasser. Les malheureuses qui n’en sont point indemnes reçoivent les numéros de un à vingt, correspondant aux couchettes du lit de camp, lequel, isolé au fond du jardinet, est contenu dans une salle de construction récente. Il ne faut pas prendre l’expression lit de camp au pied de la lettre, car ce n’est pas une simple planche placée dans une boxe, comme à l’Hospitalité de nuit. La Société philanthropique sait qu’elle a affaire à des femmes et elle est plus humaine ; elle leur donne un véritable lit garni d’un matelas, d’un traversin et de deux couvertures que les fumigations de soufre répétées ont rendues un peu rêches.

Une à une, les pensionnaires passent devant le guichet du bureau, car elles sont, soumises aux formalités de l’inscription et doivent fournir, autant que possible, une pièce qui permette de constater leur identité ; on n’est pas très exigeant. Une femme jaunâtre, ridée et clignotant des yeux, s’est présentée ; elle répond difficilement aux questions qui lui sont adressées ; à son accent, on reconnaît sa nationalité, on l’interroge en allemand : elle n’est guère plus explicite. Elle est née à Baden-Baden ; elle parle de Bâle et de Pforzheim. Lorsqu’on lui demande si elle a un passeport et pourquoi elle est à Paris, elle montre un papier sur lequel je lis : « Je certifie que Bertha H. est restée chez nous dix-huit jours. Signé : HELOÏSE. » La surveillante dit : « Elle est très propre ; » on lui remet son numéro d’admission. Celles dont l’état de maternité imminente est apparent, celles qui portent des nourrissons dans les bras sont nombreuses, et le cœur se serre en les voyant. Une d’elles, coiffée d’un bonnet à la paysanne, de face large et d’expression résignée, tapotait le dos de son enfant pour l’empêcher de crier. Je l’interrogeai, : « Est-ce que vous êtes malade ? — Non, monsieur. — Pourquoi êtes-vous si pâle ? — Monsieur je n’ai pas mangé depuis hier. » Tout de suite on donna des ordres : une soupe, du pain, des pommes de terre, des saucisses, du fromage. Elles ont défilé devant moi, les