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eût ressenti pour l’enfant vainement espéré, elle le répand sur les vieillards que la misère étreint et que la caducité déforme. Prés des anciens boulevards extérieurs, non loin de l’endroit où Des Grieux, recevant Manon dans ses bras, criait au cocher : « Touche au bout du monde ! » elle a acheté une maison pour y installer des vieux et des vieilles dont elle est la jeune mère ; elle pourvoit à tout et s’en va, florissante et gaie, leur porter les grâces dont leur grand âge est rajeuni. Pour aller les voir, elle saute en omnibus, lestement, tenant en mains de gros paquets qu’elle ne rapportera pas. Pendant quelques semaines, elle a eu voiture ; mais bien vite elle a mis bas les équipages, dont l’entretien diminuait la part de ses vieux enfans. Cette œuvre, — c’en est une, — ne pèse que sur elle. Ce n’est pas tout ; je n’ai point feuilleté le registre d’une des institutions charitables de Paris sans trouver son nom. Elle aussi, elle est animée d’une foi qui ne pourrait discuter, et lorsqu’elle communie, c’est son Dieu qu’elle reçoit. Je citerai un dernier exemple. Un ménage de négocians retirés après avoir fait fortune n’avait qu’un enfant, un fils sur la tête duquel reposaient toutes les espérances et toutes les illusions. Vers sa dix-huitième année, ce garçon fut atteint d’une fièvre typhoïde. L’inquiétude des parens fut extrême : la mère, qui était pieuse, priait ; le père, qui estimait volontiers que « tout ça, c’est des bêtises, » se désespérait. La maladie s’aggrava, l’enfant était en péril, les médecins hochaient la tête et disaient : « Tout espoir n’est point perdu. » La femme entraîna son mari dans une église, et là, tous deux agenouillés devant un autel, sanglotans, éperdus, ils firent vœu, si leur fils était sauvé, de consacrer une somme importante au soulagement des pauvres de Paris. L’enfant ne devait pas mourir. Dès que sa convalescence eut pris fin, ses parens achetèrent un terrain, où, par leur ordre et de leurs deniers, on construisit un hospice, qu’ils meublèrent et qui peut contenir près de trois cents vieillards. Cette fois, on n’a pas gabé le saint ; la meilleure maison des Petites-Sœurs-des-Pauvres, dans un de nos arrondissemens, n’a point d’autre origine. Il n’en faut point sourire ; si ces braves gens n’avaient pas eu la foi, bien des malheureux décrépits n’auraient point d’asile. Il n’est que loyal de reconnaître que toutes les fondations charitables, où tant d’infortunes ont été secourues jadis et le sont aujourd’hui, sont dues, en principe, à la croyance religieuse. J’en conclus que, dans le labyrinthe de la vie, le meilleur fil conducteur est encore la foi. Je parle d’une façon désintéressée, car je n’ai pu la saisir ; j’ai eu beau étudier et admirer ses œuvres, je lui reste réfractaire malgré moi ; mais si je savais où est le chemin de Damas, j’irais m’y promener.

Pour l’état, l’assistance publique est une obligation politique