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dans le golfe du Mexique. Ils donnèrent à ce promontoire le nom, qu’il garde encore, de pointe de Cotoche, d’un mot que les naturels répétaient fréquemment. Ceux-ci étaient accourus en grand nombre dans des canots, dès que les navires de Cordova avaient atterri ; comme la langue de ces Indiens différait de celle de Cuba, on était réduit à se parler par signes. Ces premiers contacts des Espagnols avec les populations américaines éveillent l’idée d’un ballet prodigieux ; avant qu’on ait formé des truchemens, nulle communication possible entre ces frères qui se retrouvent et ont tout à s’apprendre. « Ils nous demandèrent, en faisant signe avec la main, si nous venions du côté où le soleil se lève, et nous répondîmes par signes que de là où se lève le soleil nous venions. » Le premier acte de cette pantomime est une aimable pastorale ; des hommes rouges, demi-nus, viennent aux vaisseaux des blancs et les engagent du geste à descendre à terre ; « une grande foule d’Indiens et d’Indiennes nous entouraient, tous riant et d’apparence très pacifique, comme s’ils ne venaient que pour nous admirer. » Des vieillards encensent les étrangers avec la résine du copal ; on leur présente des fruits inconnus.

Cependant les Espagnols aperçoivent des édifices de pierres et de chaux ; du sang frais, du sang humain, dégoutte des murs et souille les longues robes, les cheveux enchevêtrés des Indiens qui gardent ces charniers. Les étrangers, saisis d’horreur, s’informent ; on leur montre le ciel : c’est l’idée de Dieu, le grand lien des hommes et leur signe de commune origine, que les pauvres sauvages traduisent ainsi ; ces boucheries, ce sont leurs temples. Le bon Bernal Diaz s’indigne ; il n’a garde de rencontrer le raisonnement qui devrait tempérer son indignation. Qu’on mène un de ces Indiens à Séville, sur la place de Triana ; qu’on lui fasse voir l’échafaud du saint-office et les victimes humaines, liées dans les flammes aux statues des quatre apôtres ; l’Indien s’étonnera à son tour, et, pour lui expliquer d’un geste ce qui l’étonné, il faudra bien lui montrer le ciel. À cette heure, l’ombre d’erreur qui voilait la bonté divine était égale sur les deux hémisphères. — Arrivés au village des indigènes, les Espagnols inspectent les maisons et y trouvent des bijoux d’or. Grande joie : cette terre porte le fruit qu’ils cherchent, elle est bonne à prendre. Les malheureux Indiens, qui offrent le métal sacré à leurs hôtes en échange des colliers de verroterie, ne savent pas que leur or les condamne à la servitude, à l’extinction. Par quelle mystérieuse destination le signe de la richesse, de la puissance, est-il le même dans ce Nouveau-Monde ? Pourquoi cette matière et pas une autre, alors qu’il en est de plus belles, de plus rares ? Il faut voir sans doute, dans ce choix universel, l’effet de la volonté si marquée qui tend à rapprocher les diverses parties du monde dans l’unité