Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

talens, un peu plus de 16,500 francs, les œuvres du seul Speusippe, et il eut certainement une riche bibliothèque.

Si l’on excepte les animaux de la Grèce et de l’Ionie ou ceux d’origine étrangère qui avaient été acclimatés déjà dans ces contrées, tels que la pintade, le faisan et le paon, Aristote paraît s’en être tenu le plus souvent à des renseignemens de seconde main, lectures d’ouvrages antérieurs, communications orales ou épistolaires. Mais il soumit ces diverses sources d’informations à une critique dont la pénétration est vraiment merveilleuse pour l’époque. Il est manifeste, par exemple, qu’il n’accueille qu’avec un sourire la description que fait Ctésias du martichore, cet animal fantastique, de la grosseur d’un lion, au visage semblable à celui de l’homme, au corps rouge, à la queue armée d’un aiguillon qu’il lance comme une flèche, à la voix qui rappelle celle de la flûte et de la trompette, aux mâchoires féroces, garnies chacune de trois rangées de dents. Il n’est pas beaucoup plus crédule à l’égard des fables populaires, sur le verdier qui naît, comme le phénix, des cendres d’un bûcher ; sur les grues qui prennent dans leurs becs, pour se lester, une pierre qui est bonne à éprouver la pureté de l’or ; sur les chèvres de Crète, qui percées d’une flèche, se mettent en quête du dictame, dont la propriété est de faire sortir le fer de la plaie. Quand il rapporte des faits qui passent pour des présages, c’est d’un ton qui ne rappelle guère la naïve dévotion d’Hérodote. Un bouc donnait à Lemnos une telle quantité de lait qu’on en faisait des fromages : « Signe de prospérité, » répond l’oracle interrogé. « Mais, ajoute le philosophe, il y a aussi quelques hommes qui, après la puberté, donnent un peu de lait si l’on presse leurs mamelles et qui même en donnent en quantité quand un enfant les tette. » Ce simple rapprochement rend déjà le prodige moins merveilleux. Les prêtresses de Carie ont du poil au menton, et quand il devient plus long, c’est un fâcheux présage. Rapporter ainsi le fait sans commentaire marque plus de dédain peut-être que de le discuter. Une explication tirée de la mythologie ne lui paraît pas décisive. « On prétend que toutes les louves mettent bas, chaque année, dans l’espace de douze jours. L’explication mythologique qu’on en donne, c’est que, dans un même nombre de jours, elles accompagnèrent Latone, du pays des Hyperboréens à Délos, quand elle se transforma en louve par crainte de Junon. Si c’est bien là ou si ce n’est pas là réellement la durée de la gestation, on n’a pas pu le vérifier jusqu’à ce jour ; c’est une simple assertion. Mais il ne semble pas qu’elle soit exacte. »

Le grand mérite, dira-t-on, de n’avoir pas accueilli les yeux fermés tous les mensonges des voyageurs, toutes les légendes et superstitions populaires ! Mais si l’on considère la crédulité presque sans