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la plénitude d’existence dont le vivant est susceptible. Cette fin n’est pas séparable des élémens qui lui servent de moyens, mais elle n’en est pas l’effet. Bien plutôt, elle les produit en un sens, car elle les suscite, elle les fait sortir de l’indétermination d’une matière qui n’est pas encore organisée, elle en est la raison, partant la vraie cause. C’est au fond l’âme qui crée le corps, comme c’est l’attrait de la perfection divine qui crée le progrès dans la nature et peut-être la nature elle-même. Aux yeux du philosophe, la forme, seule intelligible, est, dans l’individu, tout ce qu’il a de réel, et la matière s’évanouissant graduellement, la pensée ne se trouve plus en présence que d’elle-même dans un monde de formes et de fins. Métaphysique si l’on veut ; mais quel savant n’est pas un peu métaphysicien, malgré qu’il en ait, quand il veut aller jusqu’au bout des science ? Et Claude Bernard expliquant l’organisme par une idée directrice qui ressemble pas mal à la forme ou à la ψυχή d’Aristote, n’est-il pas pris, lui aussi, en flagrant délit de métaphysique ?

En tout cas, c’est sans doute à sa théorie de l’âme qu’Aristote a dû d’ajouter à tant d’autres gloires celle d’avoir fondé la psychologie comparée. Identifier l’âme avec la vie, c’est rapprocher, sans les confondre, les animaux de l’homme, et par là même être prêt à accorder toute l’importance qu’ils méritent aux phénomènes psychiques qui se manifestent à tous les degrés divers de l’échelle animale. Que de zoologistes n’ont vu dans les animaux que des corps organisés sans se mettre en peine de leur âme ! Aristote tient légitimement compte de ce qu’on pourrait appeler le moral des bêtes, et l’auteur distingué des Prolégomènes à la psychogénie moderne, M. Pierre Siciliani signale avec toute raison ce nouveau titre, un peu méconnu jusqu’ici, du philosophe grec. Les derniers chapitres de l’Histoire des animaux présentent un tableau intéressant, parfois brillant, des mœurs de plusieurs espèces, des luttes que provoque la compétition pour la nourriture ou la possession des femelles, des amitiés aussi et des dévoûmens qui font pénétrer comme un rayon de douceur et de bonté humaines dans ce monde, tout en proie aux impulsions tumultueuses de l’instinct. C’est avec une complaisance évidemment sympathique que le grand observateur s’étend sur l’industrie des abeilles qu’il appelle φρόνιμα, les sages, et qu’il fait participer à cette âme noétique, à cette intelligence active directement venue du ciel, et dont la nature est divine.

Enfin, il n’est pas impossible qu’une théorie qui fait de l’âme la raison d’être et la fin de l’organisme ait conduit Aristote à rechercher entre le physique et le moral de l’homme ces relations plus spéciales qui sont l’objet de la physiognomonie. Outre le petit traité qu’il a composé sur cette matière, il a, dans l’Histoire des ani-