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darinat est avili ! » Ce n’est pas plus difficile, et c’est ainsi que s’écrit l’histoire, conformément au proverbe connu : A beau mentir qui vient de loin.

Je suis d’avis que les nations civilisées devraient instituer une académie qui aurait pour mission de contrôler les livres d’impressions de voyages et, en général, toutes les publications qui se rapportent aux mœurs, aux principes de gouvernement, aux lois des pays étrangers. Il ne devrait pas être permis de fausser la vérité sous prétexte de spéculation, ou, du moins, puisque tous les droits sont facultatifs, il devrait y avoir une sorte d’index qui signalerait tel livre comme menteur ou tel autre comme sincère. L’honnêteté de l’écrivain est une qualité qu’il serait moins difficile de désirer, puisque les efforts que chacun tenterait pour dire vrai seraient reconnus, estimés et récompensés. Pourquoi n’établirait-on pas un cordon sanitaire contre la calomnie ?

Je me suis proposé dans ce livre de représenter la Chine telle qu’elle est ; de décrire les mœurs chinoises avec la connaissance que j’en ai, mais avec l’esprit et le goût européens. J’ai voulu mettre mon expérience native au service de mon expérience acquise ; en un mot, je tâche de penser comme un Européen qui aurait acquis tout ce que je sais de la Chine, et qui se plairait à établir entre les civilisations de l’Occident et de l’extrême Orient les comparaisons et les rapprochemens auxquels cette étude peut donner lieu.

Si je passe en revue l’éducation et la famille, on reconnaîtra que je n’ignore pas quelles en sont en Europe les diverses formes d’organisation. Mon lecteur m’accompagnera : il entrera avec moi, chez moi ; je le présenterai à mes amis et il partagera nos plaisirs. Je lui ouvrirai nos vieux livres ; je lui apprendrai notre langue ; il parcourra nos coutumes. Puis, nous irons ensemble dans les provinces ; pendant la route, nous causerons en français, en anglais, en allemand ; nous parlerons de sa patrie, de ceux qui attendent son retour. Nous charmerons nos soirées en feuilletant nos poètes, et il sentira l’émotion le gagner quand il entendra l’harmonie de nos vers unie à la profondeur des sentimens. Alors il se fera une autre idée de notre civilisation ; il en aimera ce qu’elle a d’élevé et de juste ; et, s’il a des critiques à faire, il se rappellera que rien n’est parfait dans le monde et qu’il faut toujours espérer en un avenir meilleur. Qui sait s’il n’osera plus me révéler toute sa pensée, quand je lui aurai ouvert toutes grandes les portes de mon hospitalité ? Mais il me suffira d’avoir éveillé en lui autre chose que du dédain.

Çà et là on trouvera des critiques sur les mœurs de l’Occident. Il ne faut pas oublier que je tiens une plume et non un pinceau, et que j’ai appris la manière de penser et d’écrire à l’européenne. Les critiques sont, en effet, le sel du discours : on ne peut pas