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Chine, on se trouve aux antipodes du mariage parisien. Les détails qui vont suivre sont donc nécessairement curieux.

Les Chinois se marient de très bonne heure, le plus souvent avant vingt ans. Il n’est pas rare de voir des jeunes gens de seize ans épouser des jeunes filles de quatorze ans, et l’on peut être grand’mère à trente ans ! On chercherait en vain des causes climatologiques à ces dispositions de nos mœurs. Elles sont une conséquence de l’institution même de la famille et du culte des ancêtres. Au nord ou au sud de la Chine, c’est-à-dire dans des régions où l’on peut éprouver la chaleur des tropiques ou le froid de la Sibérie, ces mœurs sont les mêmes : on se marie jeune dans toutes les provinces de l’empire.

La première préoccupation des parens, c’est le mariage de l’enfant, dès que l’adolescence se manifeste. Longtemps même avant que l’âge ait sonné, les parens font leur choix. Ceux-ci ont déjà fait part à des amis de leur intention d’unir leur fils à leur fille. Ils conviennent entre eux d’en réaliser le projet dès que le temps sera venu.

Souvent le choix de l’épouse est fait dans le cercle même de la famille. Il y a enfin les amis des amis qui s’occupent de faire les mariages, qui servent d’intermédiaires… désintéressés et ont quelquefois la main heureuse. Car, chez nous comme ailleurs, le mariage est une chance et les époux ne se connaissent que lorsqu’ils sont mariés.

Faire sa cour est un devoir inconnu et que nos mœurs, du reste, rendent irréalisable. En Europe, on s’accorde avant le mariage quelques semaines pour apprendre à s’aimer. C’est une sorte de stage, de trêve précédant le grand jour, et, pendant cet intervalle, on donne des fêtes et de grands dîners. C’est une existence charmante qui sert de préface au mariage et dont les souvenirs deviendront plus chers à mesure que croîtront les années de mariage. Il est clair que personne ne veut prendre la responsabilité de l’union projetée : on dit aux jeunes gens : Apprenez à vous connaître ; vous avez deux mois, et alors vous direz oui ou non. Se connaît-on, ou plutôt peut-on se connaître ? Évidemment non. Je conclus qu’il vaut mieux que les parens soient les seuls agens matrimoniaux responsables et que les enfans épousent, à l’heure dite.

J’ai entendu citer cette phrase : « Dans le mariage, la période la plus heureuse se passe avant le mariage. » Un Parisien jurerait qu’un homme marié seul a pu faire cette déclaration, mais il faut avouer que ces mœurs-là sont bien aussi curieuses que les nôtres !

Les mariages se font, par principe, entre familles de même situation sociale. Il y a certainement des mariages excentriques, mais c’est l’exception.