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les charges curules, ou l’égalité politique ; enfin par le partage des sacerdoces, ou l’égalité religieuse. Le privilège passa même du côté de la plèbe, puisque les patriciens n’eurent jamais le droit d’être tribuns du peuple ou édiles plébéiens.

La plupart de ces conquêtes politiques furent le butin de ceux qui avaient si bien conduit la campagne populaire et dont les fils épousèrent des patriciennes, tandis qu’eux-mêmes allèrent s’asseoir au sénat, à côté des descendans des dieux ; mais le peuple eut aussi sa part. L’éternel problème de la misère agitait Rome, comme il trouble nos sociétés modernes : dans leurs revendications, les tribuns avaient compris les intérêts d’où naissent les questions sociales. L’établissement de la solde militaire, l’envoi de colons sur les terres conquises, diminuèrent la pauvreté ; les lois sur l’usure et la contrainte par corps protégèrent les débiteurs ; et la loi agraire, qui arrêta pour un temps l’usurpation de l’ager publicus par les grands, laissa des terres aux plébéiens pour leurs troupeaux et pour leurs charrues. Il y eut donc, dans la cité, plus de justice, moins de misère, et le cercle où l’état prenait ceux dont il réclamait les services s’était élargi, de manière que tout homme signalé par son mérite pouvait y entrer. A la fin de ce long labeur d’améliorations sociales, qui fut le triomphe du bon sens appliqué avec persévérance aux affaires publiques, les deux ordres étaient réconciliés, l’écart entre les fortunes beaucoup moins grand, la campagne romaine couverte de petits propriétaires qui balançaient dans les centuries les suffrages des grands et qui portaient dans les tribus la sagesse courte mais tenace du paysan, dont, aux jours de comices, le patricien serrait les mains calleuses. Garanti dans sa liberté par la provocatio, le droit d’appel et la suppression de la détention préventive, dans sa dignité par l’abolition des peines corporelles, l’inviolabilité de la demeure, la liberté religieuse et l’égalité politique, le citoyen fut prêt à tous les sacrifices pour une ville qui lui assurait des biens aussi précieux. Durant plus d’un siècle, la paix régna au Forum et des coups terribles purent être frappés sur l’ennemi. Ce fut l’âge d’or de la république.


III

Rome avait des magistrats annuels ; chacun d’eux voulut signaler son temps de commandement par un exploit qui lui valût le triomphe, et les citoyens accoururent joyeusement sous les enseignes dans l’espoir que l’expédition leur donnerait soit du butin, dont le partage se faisait avec une religieuse loyauté, soit des terres fertiles cédées par l’ennemi vaincu. La ville