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de la révolution nouvelle. Apporter sa pierre aux barricades, exalter la foule quand elle fondra houleuse sur le palais des représentant, recevoir à l’Hôtel de Ville le sacre de l’émeute triomphante, voilà la destinée des chefs populaires. Ce fut celle de Ledru-Rollin, ce sera celle de M. Gambetta. Qu’importe le lendemain d’un si beau jour ! Le lendemain des révolutions, pareil au lendemain d’un règne indigne, c’est le déluge !

Mais il plut à la fortune d’abaisser notre pays et de grandir M. Gambetta. La guerre est déclarée avec autant de légèreté que de précipitation. L’empereur et ses conseillers poussent nos régimens incomplets vers la frontière, répétant, en fatalistes qu’ils sont, le triste mot de Marc Antoine : « Le malheur est déchaîné, arrive que pourrai » Au moment de prendre une offensive nécessaire, ils hésitent et nous perdent. Nos armées sont attaquées, battues, avant d’être formées. Les défaites de Reischoffen et de Forbach tombent sur le pays comme un coup de foudre ; le sol national est foulé par l’invasion ; les débris de l’armée de Mac-Mahon viennent se reformer à Châlons ; l’armée du Rhin, coupée de la ligne de la Meuse, sera cernée et bloquée sur la ligne de la Moselle. Et cet immense écroulement se fait en un jour !

Quelle force d’âme montrera M. Gambetta en face de ces événemens ? Nous sommes au mardi 9 août. Le corps législatif se réunit en proie à toutes les angoisses. Le trop coupable ministère qui nous avait jetés dans la guerre sans s’y être préparé, tombe sous la réprobation générale. Les justes ressentimens de la population n’en sont pas soulagés. Aux abords du Palais Bourbon, sur le quai, dans toute l’étendue de la place de la Concorde, une foule immense s’agite frémissante. Des groupes fiévreux demandent des armes. Les cris de : Déchéance ! Levée en masse ! se succèdent, menaçans. Dans la salle des séances, les interruptions les plus violentes de la gauche ne soulèvent plus d’orages. Ses propositions sont écoutées en silence. La révolution n’est pas proche ; elle est faite ; il suffit de la proclamer. M. Gambetta l’osera-t-il ?

Au lendemain des premiers désastres de Reischoffen et de Spicheren, l’état d’esprit de Paris était tel que la défense de la capitale et la continuation de la guerre étaient impossibles sans un coup d’autorité qui réduisît la population à l’obéissance passive, ou sans une révolution qui la poussât au combat en exaltant ses généreux instincts. Le coup d’état qui aurait fait ployer toutes les résistances sous la force aurait difficilement réussi. On se demande qui aurait pu l’exécuter. Ce n’était pas le cabinet du 10 août, dont le chef incapable devait accumuler en une semaine plus de fautes qu’il n’en faudrait pour perdre un grand empire et devait consommer, par sa