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proche. Nous recommandons son discours aux membres de la gauche extrême qui veulent supprimer la chambre haute.

Voilà comment, dans l’assemblée, M. Gambetta secondait le gouvernement qui voulait donner à la république un rudiment d’organisation. Voilà comment il aidait au relèvement de son pays au moment où M. Thiers consacrait ses forces à délivrer, non pas toute la France, hélas ! mais ce qui nous restait de territoire à l’Est de la présence de l’étranger. C’est surtout en dehors de la chambre que s’exerçait son action désorganisatrice. Pendant la seconde moitié de l’année 1871 il a préparé la campagne. Son journal, la République française, s’est fondé. Les anciens fonctionnaires de la délégation le répandent en province en même temps qu’ils se mettent à prononcer le nom de Gambetta, si unanimement décrié après la guerre. Le parti des mécontens d’un côté, des révolutionnaires de l’autre, le choisit pour chef. Dans les grandes villes et dans les centres bruyans du Midi, on se prépare à opposer la république de M. Gambetta à la république de M. Thiers[1]. Pendant les vacances de Pâques de 1872, l’agitateur commence dans le pays ses prédications contre l’assemblée. Le 7 avril, à Angers, il pousse à la dissolution[2]. Le 18, au Havre, il dénonce les « ruraux » au mépris public[3]. Son audace et sa violence augmentent avec la faiblesse de ses adversaires. Le 22 septembre suivant, à Chambéry, il accuse l’assemblée d’impuissance[4]. Le 26, à Grenoble, il ne garde plus de mesure et compare la représentation du pays à un cadavre[5]. Epargne-t-il au moins M. Thiers ? Nous saurons, dans un instant, qu’il va jusqu’à le soupçonner de trahison contre la république.

Quels peuvent bien être à cette époque, — du 2 juillet 1871 au 24 mai 1873, — la pensée, le but, l’état d’esprit de M. Gambetta. Pas plus qu’au temps où Delescluze lui confiait un rôle à tenir, il n’a de pensée politique arrêtée. Tous ses discours de 1872 varient avec les sentimens de l’auditoire qui l’écoute. Au Havre, il rassure le pays contre le socialisme[6]. A Angers, il se donne pour un défenseur de la famille, de la propriété, de la liberté de conscience[7].

  1. Cette situation a été comprise par l’étranger à cette époque. (Voyez le procès d’Arnim.)
  2. Gambetta, Discours, t. II, p. 236.
  3. Ibid., t. II, p. 264.
  4. Ibid., t. III, p. 32.
  5. Ibid., t. III, p. 107.
  6. « Croyez qu’il n’y a pas de remède social parce qu’il n’y a pas une question sociale. » Discours, t. II, p. 263.
  7. « Notre parti, l’ennemi de la famille, de la liberté de conscience, de la propriété ! O triple mensonge ! ô triples vipères qui colportez ce mensonge ! » (Discours, t. II, p. 245.)