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Les autres, au contraire, estimaient que rien n’était fait tant qu’il restait quelque chose à faire, et que, si les succès du Chili suffisaient à sa gloire, ils n’assuraient pas ses conquêtes dans le présent ni sa sécurité dans l’avenir. Le Pérou se refusant à traiter, pouvait-on l’y contraindre autrement qu’en poursuivant la lutte, en réduisant son orgueil et en consacrant par un suprême effort les succès obtenus ?

Dans le parlement, dans la presse, dans les réunions publiques, l’opinion se prononçait dans ce sens avec une telle énergie que le président Pinto n’hésita pas. Le cabinet tout entier avait offert sa démission pour rendre au président la liberté de s’entourer d’hommes nouveaux. Don José F. Vergara, partisan résolu de la marche sur Lima, fut nommé ministre de la guerre ; don Manuel Baquedano, général de division, fut appelé au commandement en chef.

L’armée avait subi de grandes pertes, plus de douze mille hommes avaient succombé sur les champs de bataille ; on combla les vides des régimens de ligne en dégarnissant les postes frontières de l’Araucanie, on créa de nouveaux bataillons de garde nationale mobilisée et d’engagés volontaires. Les troupes furent échelonnées de manière à porter au nord les plus aguerries et à faire occuper les ports du littoral par les nouvelles recrues. La marine, renforcée par des achats de transports, reçut un complément d’hommes et d’armement. Chacun des bâtimens qui la composaient passa au dock flottant de Valparaiso pour y nettoyer sa carène et subir les réparations nécessaires.

On ne pouvait songer, en effet, à se rendre maîtres de Lima sans bloquer Le Callao. Ce port militaire, le premier du Pacifique, compte une population d’environ quarante mille habitans, et forme l’un des faubourgs de Lima, auquel il est relié par deux chemins de fer. La nature en a fait une forteresse naturelle à laquelle les rois d’Espagne avaient, au prix de sommes énormes, ajouté des fortifications formidables. Hérissé de batteries modernes, abondamment pourvu de munitions, le port du Callao abritait en outre ce qui restait de la flotte péruvienne et pouvait défier les efforts de toute l’escadre chilienne. Il n’y avait pas à songer à s’en emparer de haute lutte, mais la prise de Lima entraînait la chute du Callao. Il fallait attaquer à revers et par l’intérieur des terres cette position d’autant plus redoutable que les deux places se prêtaient un mutuel appui et que du Callao l’on pouvait transporter à Lima, en vingt minutes, l’artillerie, les munitions, les hommes nécessaires pour repousser une attaque et doubler l’effort de la défense.

Tant que le port du Callao restait ouvert, le Pérou pouvait continuer à s’approvisionner de l’étranger. Sur l’ordre du gouvernement chilien, le contre-amiral Riberos, à la tête d’une division composée