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de quoi peindre la petite cour galante et dévote à la fois d’Holyrood où de dresser ; d’après les Mémoires de l’un et le Journal de l’autre, le catalogue raisonné des maîtresses du roi de Prusse. Et voilà de l’histoire « amusante, » point « ennuyeuse, » point « pédante » non plus ; du vrai roman vécu, comme ils disent dans l’école ; quelque chose qui certainement ne ressemble point à ces autres histoires de la révolution française ! Et, en effet, ce serait de l’histoire amusante, en premier lieu si nous nous amusions beaucoup de ces anecdotes galantes après en avoir tant entendu conter, — et combien de fois les mêmes ! — et puis, et surtout si c’était de l’histoire. Mais ce n’est que de l’historiette, et, entre autres inconvéniens, l’historiette a cela contre elle, depuis Brantôme et depuis Tallemant, de ressembler beaucoup au pamphlet, lequel est précisément et à bon droit réputé le contraire de l’histoire.

Quand on fait tant que de vouloir amuser, on veut bientôt amuser à tout prix, et tout y devient bon, pourvu qu’il soit amusant. Comme on a négligé les grands événemens pour chasser aux anecdotes, on laisse donc de côté les opinions et les doctrines pour ne s’acharner qu’aux personnes. Est-il en effet rien de plus amusant que de surprendre en flagrant délit de sottise ou de ridicule un ennemi détesté ? Mais que si l’ingrate nature ne l’a pas taillé sur le modèle d’un Antinoüs, quel plaisir de se venger de ses actions sur son visage, et de faire payer à sa tournure l’importance de son rôle historique ! Je ne sais si je me trompe, mais c’est particulièrement aux hommes gras que M. Forneron semblerait en vouloir. D’autres jugent les hommes, M. Forneron les jauge. Même quand il en a mieux et beaucoup mieux à dire, comme du baron de Thugut, par exemple, il ne saurait omettre d’observer qu’à tous ses autres vices le ministre autrichien joignait celui d’être « gras ; » mais, non content d’être « gras, » s’aviserait-on peut-être encore, comme Carnot, d’être « blafard, » cela devient une preuve d’incapacité radicale, pour ne pas dire davantage. Heureux seulement si M. Forneron étendait aux gros mots cette répugnance instinctive qu’il témoigne pour les hommes gras ! On ne saurait en effet imaginer ce qu’il défile dans ces deux volumes et de « cuistres, » et d’ « imbéciles, » et de « fripons, » et de « coquins ; » et quoiqu’il n’ait manqué, je l’avoue, ni des uns ni des autres dans l’histoire de la révolution, comme aussi quoiqu’il convienne parfois d’appeler les gens de leur vrai nom, c’est toutefois une licence dont peut-être vaudrait-il mieux ne pas tant abuser. Mais l’excuse de M. Forneron, c’est toujours qu’il s’agit d’amuser le lecteur ; et au fait, s’il y en a des moyens certainement plus délicats, il n’y en a guère de plus aisés.

Et ce doit être aussi l’excuse de ces jugemens, ou plutôt de ces décisions impérieuses, non moins téméraires au fond que violentes dans la forme, qui achèvent de caractériser la manière de M.