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trompait sur leurs qualités sociales, comme si un mauvais plaisant avait changé les étiquettes, mis celle-ci à la place de celle-là, fait conduire le duc dans la cellule des amans condamnés à mort, et Gérard dans le préau glorieux des maris. Quel est donc ce scandale ?

C’est que M. Dumas, — après avoir rangé les individus sous les nécessités de la loi humaine, sans examiner si ces nécessités étaient iniques ou équitables, — après avoir proclamé qu’il faut obéir au droit positif parce qu’il est, sans se donner la peine, même quand le droit naturel était du même côté, de constater ce renfort, — M. Damas s’est avisé à la fin que, pour que ce régime ne fût pas épouvantable, il fallait d’abord mettre la loi humaine en perpétuel accord et parfaite harmonie avec la loi morale, et le droit positif avec le droit naturel. Après avoir observé dans le domaine des faits les combats de l’ordre et du désordre, après avoir vu tant de fois la scandaleuse résistance de celui-ci et le triste avantage de celui-là, il s’est élevé à la contemplation des luttes invisibles du bien et du mal, il a vu que le mal était quelquefois du côté de l’ordre, et, pour se consoler, il a voulu croire au triomphe définitif du bien. Moraliste, cette fois, et non plus censeur, mystique et pris d’optimisme autant qu’il était jusque-là désespérément attaché à la terre, il est revenu, par ce détour, au respect des personnes. Voulant exposer sur la scène le duel des puissances morales qui, selon lui, se disputent le monde, il a choisi pour incarner le mal, — dans ce pays où le mariage est indissoluble, — un mari, pour incarner le bien un amant. Il a repris la fable de Diane de Lys ; mais, pour un dénoûment contraire, il a rétabli le caractère du mari tel qu’il était dans le roman (je parle du roman de la Dame aux perles : Diane de Lys, roman, n’a guère fourni à la pièce, après le titre, que la mise en scène du premier acte). Ce personnage, qu’il avait purifié naguère tout exprès pour rendre supportable sa victoire, il l’a restitué dans son abjection, et tel sans doute que la nature le lui avait offert ; il l’a sacrifié à l’amant. Il ne l’a pas sacrifié seulement, comme son père avait fait dans Madame de Chamblay, pour satisfaire le spectateur : il a marqué avec force le caractère providentiel de cette fin. Il n’a pas vu dans les deux adversaires un amant et un mari, mais deux hommes, l’un meilleur que l’autre : il a voulu que le meilleur l’emportât.

Cette justice distributive n’a pas déplu au public : voyez plutôt sa joie tout au long de cette amusante scène du cinquième acte, entre Septmonts et Clarkson, renouvelée avec un art si curieux, avec un tour de main si magistral, du cinquième acte de Madame de Chamblay, et jouée en perfection par MM. Coquelinet Febvre. Sans doute, cette joie serait plus complète encore si l’auteur, au lieu de revenir par le chemin que j’ai dit à l’observation des personnes, s’y était tenu dès l’abord, en toute simplicité d’artiste. Exempt du souci desséchant de la symbolique, il eût mis plus d’humanité dans ces hommes dont