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d’assiéger. Jamais son humeur n’avait paru plus gaie; jamais il ne s’était plaint de moins de fatigue.

En même temps qu’on lui annonça la présence du comte de Wassenaer, d’excellentes nouvelles lui étaient apportées du Midi. Le prince de Conti, entrant en Italie par le comté de Nice, avait franchi le Var sans résistance et emporté sous le feu combiné des batteries piémontaises et de l’escadre anglaise la place forte de Villefranche et tous ses magasins. Ce succès, obtenu par un prince de la maison royale, prélude de ceux que Louis se promet- tait de remporter lui-même, en redoublant son émulation, ne le disposait pas à bien accueillir les prières de la république. Il indiqua pourtant à l’envoyé une audience pour le lendemain, mais, sous prétexte apparemment qu’il le connaissait de longue date, il le reçut avec un sans-façon militaire et une absence d’étiquette qui témoignaient plus de dédain que de cordialité : « La porte du roi ayant été ouverte, écrit Wassenaer lui-même, j’y entrai, conduit par l’introducteur, M. de Verneuil. Le roi était assis en robe de chambre et la tête découverte devant une table sur laquelle était une toilette et un fort petit miroir. Sa Majesté était occupée à se laver les mains. Elle me par la avant tous les autres et me dit : — Monsieur de Wassenaer, combien y a-t-il de temps que vous n’avez été en France? — Je répondis qu’il y avait vingt-cinq ans passés. — Vous me trouvez donc bien changé? — Sur ce que je dis que Sa Majesté n’avait encore que douze ou treize ans, il repartit : — Il y a vingt-cinq ans, je ne devais avoir que huit à neuf ans. Les courtisans calculèrent d’abord le temps et trouvèrent que Sa Majesté avait raison[1].)»

Wassenaer dut se mettre alors en devoir de débiter le petit discours qu’il avait préparé et qui exposait en termes assez embarrassés l’objet de sa mission. Il n’ajoute pas dans sa dépêche ce que les mémoires français nous apprennent, c’est qu’il le prononça d’un ton tremblant, en jetant des yeux inquiets sur la foule de courtisans et d’officiers qui l’entouraient. Le roi répondit au contraire d’une voix haute et ferme : «Toutes mes démarches envers votre république depuis mon avènement à la couronne ont dû lui prouver combien je désirais d’entretenir avec elle une sincère amitié et une parfaite correspondance. J’ai fait connaître assez longtemps mon inclination pour la paix ; mais plus j’ai différé de déclarer la guerre, moins j’en suspendrai les effets. Mes ministres me feront le rapport de la commission dont vous êtes chargé, et après l’avoir communiqué à mes alliés, je ferai savoir à vos maîtres quelles sont

  1. Dépêche, interceptée de Wassenaer, 20 mai 1744. (Correspondance de Hollande.— Ministère des affaires étrangères.