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du galbe. Les Christs morts pèchent en général par la sécheresse du trait et l’apparence ligneuse; le pinceau souple et coloré de M. Henner ne pouvait tomber dans ces défauts. La précision et le relief de la statuaire se combinent ici avec toutes les magies de l’art du peintre. Il n’y a point d’à-peu-près ni de négligences, d’efforts ni d’artifices. Le contour est pur et serré, le modelé a une égale fermeté dans toutes les parties. On admire surtout le beau dessin de la cage thoracique et le sentiment profond de la face. Pour la couleur, puisqu’il s’agit de M. Henner, il serait superflu d’en vanter la puissance et l’éclat. Voici un tableau de maître qui a sa place marquée, dans l’avenir, au Louvre, aux Offices, ou à 1 Hermitage, à côté des chefs-d’œuvre consacrés.

Avec son Christ au tombeau, le peintre expose cette merveilleuse nymphe qu’il envoie presque régulièrement chaque année, à la plus grande joie de nos yeux, qui éclaire la salle où elle est placée, et sans laquelle le Salon n’aurait pas son diamant. Ces deux tableaux, qui, de genre très différent, rappellent toutes les belles œuvres que M. Henner a peintes depuis quinze ans, lui méritent la médaille d’honneur. Mais vous verrez que la médaille d’honneur ne sera point votée cette année. M. Henner aura des voix, M. Puvis de Chavannes aura des voix, MM. Jules Lefebvre, Benjamin Constant, Bouguereau et Cormon auront des voix, et il résultera de cette dispersion de votes que personne n’aura la médaille. Si quelqu’un cependant réunit la majorité, ce sera M. Puvis de Chavannes, à qui l’on a déjà décerné, et si justement, la médaille d’honneur en 1882 pour le Ludus pro patria.

Nous dirons à ce propos que la médaille d’honneur ne devrait point être donnée deux fois à un même artiste. Cette récompense suprême met de fait celui qui l’a reçue au-dessus même d’une récompense analogue. Il est désormais hors tout concours. Admettre qu’on puisse recevoir la médaille d’honneur plusieurs fois, c’est en diminuer le prix, c’est la retirer de l’absolu pour la faire entrer dans le relatif. Puisque nous avons incidemment abordé cette question, nous ferons une autre observation. Le mode de votation de la médaille d’honneur est à modifier. Le règlement en vigueur ne permet que trois tours de scrutin, et au troisième tour, la majorité absolue des suffrages continue d’être exigée. De cette façon, plus il y a d’œuvres capitales au Salon et moins il y a de chances pour que cette médaille soit décernée. Si, au contraire, il n’y a qu’un seul tableau de haute valeur, la médaille sera certainement donnée. Donc, et voilà qui est absurde, on pourrait juger de la faiblesse ou de la force d’une exposition selon que la médaille d’honneur a été ou n’a pas été décernée. A la vérité, un quatrième tour de scrutin avec la majorité relative présenterait un autre inconvénient. Au cas où