Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/576

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son sang : ce sont des roses. » Et des roses tombèrent de sa poitrine et s’effeuillèrent sous ses pas. C’est cette poétique légende que M. Duez a traduite en peinture. Debout et de face, François d’Assise croise ses mains marquées des stigmates sur sa poitrine nue, d’où jaillit une floraison de roses. Sa tête, nimbée et perdue dans l’extase, se lève vers le ciel. Trois franciscains s’empressent autour du séraphique personnage. L’un cherche à lui couvrir les épaules, un autre baise dévotement le pan de son froc, le troisième est à genoux, les mains jointes, comme en adoration. Au fond, la plaine blanche, légèrement mamelonnée, s’étend sous un ciel froid et nuageux éclairé par un pâle soleil. C’est une solide peinture, très ferme et très vivante. Le torse du saint, d’un dessin savant et délicat, est bien choisi comme formes. Si le modelé des figures reste encore un peu à l’état sommaire en quelques endroits, et particulièrement aux extrémités, du moins est-il indiqué là avec beaucoup d’accent. L’expression d’extase du visage de saint François est fort bien rendue; mais on voudrait que le type fût mieux marqué au caractère de l’ascétisme. La physionomie des moines, au contraire, est supérieurement exprimée; le rayonnement de la foi transfigure ces faces vulgaires. Il faut encore donner de grands éloges à la légèreté et à l’éloignement du fond, à la justesse locale du paysage de neige et à l’exécution facile et brillante des roses. — Jusqu’ici nous avons été sévère pour M. Duez. Nous avions peine à lui pardonner de perdre ses dons innés et ses qualités de pratique dans les procédés de l’impressionnisme. Nous sommes heureux que son Miracle des roses, où il reste fort peu de trace de cette étrange technique, nous permette de louer M. Duez en toute conscience. Nous faisons ici le contraire d’une amende honorable. Loin de rétracter nos paroles de ces dernières années, nous les confirmons par l’exemple de M. Duez lui-même. Ce n’est pas le critique qui reconnaît ses torts, c’est le peintre qui a reconnu la mauvaise voie où il se perdait, puisqu’il paraît l’abandonner.


III.

La peinture d’histoire se fait peinture préhistorique dans le grand tableau de M. Cormon. Nous voici à l’âge de la pierre polie. Une bande d’hommes, à demi vêtus de peaux de bêtes et armés d’épieux et de haches de silex, arrive de la chasse; ils déposent leur proie, un énorme ours des montagnes, devant la hutte construite en troncs d’arbres et en peaux qui abrite la tribu. A l’entrée de l’habitation se tient l’aïeul, entouré des femmes et des enfans. Pendant que les hommes allaient au loin chercher la nourriture et