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de sa hache de pierre entre les deux épaules. Ce groupe est une bonne étude d’anatomie, peinte avec beaucoup de fermeté.

Si près de nous, relativement, que soient les troglodytes de l’âgée de la pierre, puisque quatre cents ans avant notre ère il y avait encore dans les Gaules des populations qui ignoraient l’usage des métaux, les héros des temps tout autrement lointains de la Grèce légendaire nous sont plus familiers et nous intéressent davantage. C’est pourquoi M. Edouard Fournier a bien fait de peindre Oreste à l’autel d’Apollon. Le tragique fugitif, poursuivi par les Érynnies, « les chiennes vengeresses de la mère, » selon l’expression d’Eschyle, tombe presque mort de fatigue. A peine ses bras sans force peuvent entourer la pierre qui supporte la petite statue du dieu. La figure, d’un heureux choix de formes, est bien dessinée, et il y a du sentiment dans l’attitude. La variante que le jeune prix de Rome a mise au texte grec, en supposant qu’Oreste s’approche d’un autel situé hors de la ville, tandis qu’Eschyle montre, au contraire, le meurtrier pénétrant furtivement dans le temple même d’Apollon, ne doit pas empêcher de louer le calme et la beauté du paysage, éclairé par la douce lumière des nuits d’Orient. Le point de vue est pris du sommet de la colline où s’est arrêté Oreste, et l’œil plonge sur les maisons, les palais, les édifices sacrés de la ville endormie. A l’horizon, fermant la plaine de Delphes, les montagnes bleues de la Phocide se profilent comme des frontons de temples sur le ciel scintillant d’étoiles. M. Edouard Fournier porte un nom justement connu ; il. s’occupe vaillamment à lui conquérir une nouvelle notoriété. Le Retour d’Ulysse, de M. Schutzenberger, et la Vente d’esclaves à Rome, de M. Gérôme, sont comme des paralipomènes à l’histoire grecque et à l’histoire romaine. Ces tableaux de genre, ces scènes familières nous font pénétrer plus avant dans la vie des anciens que les peintures des champs de bataille et des agoras. Ces deux peintres sont des historiens à la Plutarque. Il en est ainsi de M. Hector Leroux. Regardez ces gracieuses Vestales, gracieuses jusque dans l’effroi d’une fuite sur le Tibre, quand les Gaulois pénètrent dans la Cité, gracieuses encore dans le geste terrible du pollice verso, qui voue à la mort le gladiateur vaincu.

On lit une page du roman antique de Gustave Flaubert; on y apprend que les mercenaires de Carthage virent sur leur route une multitude de lions crucifiés par les paysans, et l’on se dit : « Quel beau sujet de tableau il y a là! » Or, on se trompe absolument. Sans aller jusqu’à prétendre, avec l’esthéticien Hemsterhuis, que « le beau est ce dont on peut se faire une idée dans le plus court espace de temps, » nous estimons qu’un tableau ne saurait tourner à l’hiéroglyphe. Une composition picturale, qui doit à peine avoir