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jusqu’à la négation et l’éclairage par reflets, qui donne à leur corps une transparence vitreuse, ne faisaient d’elles des spectres translucides. Ajoutez que leur teint blême complète l’illusion. Pour l’enfant et la jeune servante, la coloration blafarde de la face et le dessin de la bouche fendue jusqu’aux oreilles confinent à la caricature; en les regardant, on songe involontairement aux Hanlon-Lées. On ne peut guère louer dans tout ceci que le sentiment de douce mélancolie empreint sur les physionomies de la convalescente et de sa mère, et aussi le groupement harmonieux de ces deux figures. M. Besnard prouve par là qu’il n’a pas perdu toute idée de style. Le style! mais soyez assuré que le peintre ne doute pas du style élevé de son diptyque. A entendre qu’il s’inspire de l’impressionnisme, M. Besnard s’indignera et criera bien fort qu’il s’inspire du préraphaélisme et de M. Puvis de Chavannes. C’est qu’appliqué aux sujets tout contemporains, le préraphaélisme et l’impressionnisme se touchent. L’immatérialité de la fresque, qui donne plutôt l’idée des objets qu’elle ne les représente, exige des conceptions grandioses. Le réalisme ne saurait s’accommoder de ce procédé de peinture. On ne s’imagine pas la Leçon d’anatomie peinte à la détrempe. La banalité ou la vulgarité des spectacles de tous les jours reproduits sur la toile ne se sauve que par la puissance de l’exécution, qui donne le relief et la vie. C’est pourquoi M. Puvis de Chavannes, qui sait raisonner son art, n’aura jamais l’idée de peindre quelque sujet contemporain. Ce serait un contre-sens en même temps qu’un anachronisme. D’ailleurs, s’il vous plaît de comparer le diptyque de l’École de pharmacie et le Bois sacré, vous jugerez de la différence des procédés techniques. Les figures de M. Puvis de Chavannes ont la matité, mais nullement la transparence surnaturelle de celles de M. Besnard. Le Bois sacré est peint tout entier dans une gamme douce et tranquille sans une seule dissonance ; les lilas, les jaunes safranés, les bleus cendrés des draperies, les verts pâles et les bleus violacés du paysage s’accordent à merveille avec la couleur conventionnelle des nus. Au contraire, dans le diptyque de M. Besnard, il y a des rouges vifs, des verts crus, des gros bleus, des roses corsés qui détonnent et font, par opposition, paraître les carnations encore plus atones qu’elles ne le sont en réalité. Les tableaux de M. Besnard montrent à quel point M. Puvis de Chavannes est coloriste.

Un peintre très jeune encore a exposé régulièrement depuis tantôt quinze ans des tableaux d’histoire ou de mythologie. On les a placés au deuxième ou au troisième rang, personne ne les a remarqués, nul n’en a parlé. Cette année, ce peintre, qui se nomme M. Horace de Callias, ne s’avise-t-il pas d’envoyer au Salon un sujet tout moderne, la Petite Sœur, une jeune fille vêtue de rose qui joue