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de face, Mme E. H. porte une robe blanche décolletée. La figure ressort en clair sur la teinte mate du fond, un grenat amorti. Mme E. H. a les bras nus, et ses deux mains se croisent l’une sur l’autre à la hauteur de la ceinture. Le visage et le cou baignent dans la demi-teinte dont la fine transparence conserve néanmoins à la tête son relief et sa densité; la poitrine blanchit à l’éclat de la lumière franche. Les yeux profonds et expressifs, les traits purs et fermes, sont rendus d’un faire précis, mais d’une extrême délicatesse. Il semble, tant le coup de pinceau se fond dans la peinture, que le travail du peintre est absent de ce portrait, comme il paraît l’être des admirables portraits italiens du XVIe siècle. On dirait l’image même de la nature réfléchie dans une glace. Dans l’autre portrait, le cadre descend jusqu’aux genoux. Mme 0. est vêtue d’une robe demi-montante, à bouquets de fleurs pompadour dont les vives couleurs s’harmonisent avec le rideau bleu foncé qui tombe au fond. La tête, également de face et tout à fait éclairée, a un modelé plus accentué; on y voit même quelques rehauts de pâte, procédé que M. Cabanel emploie rarement. Ce second portrait est plus monté de ton, plus vigoureux de touche que le premier ; il est plus à effet, si l’on peut employer ce mot à propos d’un artiste qui dédaigne l’effet.

Oui, certes, le livret mentait qui indiquait le portrait peint par M. Jules Lefebvre comme un portrait de jeune femme. Autrement, l’art du peintre eût été en défaut en lui donnant cette idéale pureté, cette suave physionomie, cette attitude d’une grâce candide, et en prenant au ciel son plus blanc nuage pour y encadrer la virginale figure. On ne se lasse pas de contempler ce portrait réel comme la vie et poétique comme le rêve; on ne se lasse pas d’en admirer l’exécution franche et large. Les contours, bien que très nettement marqués, semblent se perdre dans la forme même. Vêtue d’une robe blanche, la figure se détache, clair sur clair, sans aucun artifice, sur un fond de ciel bleu martelé de blanc ; elle ne doit son relief qu’à la fermeté du modelé. Le dessin des mains est merveilleux; ce sont des mains de fée, peut-être même sont-elles un peu trop des mains de fée en leur quasi immatérialité.

Le portrait que M. Ribot a fait de sa fille ne le cède point à l’œuvre de M. Jules Lefebvre. Là, c’était la clarté sereine, ici, c’est la pénombre obscure, où luit un fulgurant rayon ; là, le pinceau savant et sûr, ici, l’emportement furieux de la brosse. Sauf le visage de la jeune femme, qui, frappé d’un coup de lumière vive, se colore de teintes roses d’une finesse exquise, tout le tableau plonge dans l’ombre ou la demi-teinte. Le corps, enveloppé d’un manteau brun bordé de fourrure, tourne et se modèle un plein relief, et la tête, en