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reux dans ce merveilleux pays : Dieu l’a comblé de mille faveurs ; il lui a donné de riches étoffes, un breuvage délicieux et parfumé, des produits en abondance.

« La puissante et intelligente société de Jésus avait bien compris tout le parti qu’on en pouvait tirer : aussi envoya-t-elle en Chine des personnages très distingués qui saisirent tout de suite qu’il fallait se concilier les sympathies, s’identifier avec les idées des Chinois, se dépouiller complètement de leur caractère européen, avant de parler de dogmes et de mystères à ce grand peuple qui n’y aurait rien compris. En 1579, nous voyons d’illustres et habiles Italiens parcourir la Chine enseignant l’astronomie, la physique, les arts et la religion.

« Accueillis avec empressement par l’empereur, pensionnés sur le trésor, ils captivent toutes les classes de la société par leurs manières irrésistibles. Ils n’avaient qu’à parler pour convaincre. C’est qu’ils ne dénigraient pas, comme on le fait à présent, le culte admirable des ancêtres, ce culte que nous retrouvons à Rome dans l’antiquité. Ils respectaient Confucius et ils se gardaient bien d’offenser les antiques convictions sur lesquelles repose l’édifice politique de l’empire.

« Comme couronnement de leur œuvre intelligente, le grand empereur Kang-Hi décrète un édit qui leur permet d’ouvrir des églises. L’exposé des motifs est des plus curieux :

« Moi, premier président du ministère des rites, je présente avec respect cette requête à Votre Majesté pour obéir humblement à ses ordres.

« Nous avons délibéré, moi et mes assesseurs, sur l’affaire qu’elle nous a communiquée, et nous avons trouvé que ces Européens qui ont traversé de vastes mers sont venus des extrémités de la terre, attirés par votre haute sagesse et votre incomparable vertu. Ils ont présentement l’intendance et le tribunal des mathématiques ; ils ont rendu de grands services à l’empire. On n’a jamais accusé les Européens qui sont dans les provinces d’avoir fait aucun mal ni d’avoir commis aucun désordre ; la doctrine qu’ils enseignent n’est pas mauvaise ni capable de causer des troubles.

« Nous sommes d’avis qu’il faut leur laisser ouvrir des églises et permettre à tout le monde d’adorer Dieu comme il l’entend. »

« Mais bientôt les dominicains et les franciscains, jaloux de la puissance des jésuites dans l’extrême Orient, firent sortir du Vatican le blâme et la persécution ; ils détruisirent le magnifique édifice élevé par eux et les firent expulser en 1773 par une bulle du pape Clément XIV.

« Les lazaristes les remplacèrent par une méthode nouvelle. Ils froissèrent les habitudes morales de la nation, ses préjugés, ses