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de faire souhaiter aux meilleurs des étudians le privilège du casernement dans une école spéciale. Tous ces jeunes gens sont au même titre membres de la grande corporation universitaire : futurs régens de collège ou futurs cavaliers, étudiant ou n’étudiant pas, riches ou pauvres, beaux ou laids, ils s’imprègnent de l’orgueil de vivre et d’être jeunes; ils sont les étudians d’Allemagne, une classe de la nation à laquelle la nation entière s’intéresse, et s’il paraît quelque penseur, s’il se produit quelque grande idée ou quelque noble passion, penseur, idée, passion savent où trouver la jeunesse allemande pour l’éclairer ou la soulever.

Nous arrivons donc à cette conclusion qu’il serait, fort souhaitable que nous pussions reprendre à l’étranger le modèle, autrefois prêté par nous, des universités. Mais la critique du livre du père Didon nous a fait voir qu’il ne faut pas espérer bâtir en un jour des institutions semblables à celles que les siècles ont lentement édifiées chez nos voisins. C’est bientôt fait que de dire : les universités allemandes sont une source de forces intellectuelles et nationales ; créons des universités françaises. C’est bientôt fait que de rédiger un projet de loi, voire même de le voter. Le père Didon a son projet tout prêt : il voudrait accroître le Collège de France, puis le couper en cinq parties dont l’unité serait maintenue par le titre pompeux de Collège universel de France. Écartons ces solutions faciles : il nous faudra mériter les universités par une longue série d’efforts coordonnés avec rigueur et dirigés avec fermeté vers un but clairement défini. Voyons d’abord où nous sommes et quelle route nous reste à parcourir.


II.

Il y a vingt ans, nous en étions à un régime qui est le plus opposé du monde à celui des universités : budget misérable, dispersion de l’enseignement entre les grands établissemens scientifiques, les écoles spéciales peuplées d’internes destinés à une profession, les facultés presque exclusivement professionnelles de droit et de médecine, les facultés des sciences et des lettres sans élèves et organisées de telle façon qu’elles n’en pouvaient avoir. Depuis vingt ans, nous nous efforçons de sortir de ce régime et nous avons, somme toute, fait quelques pas dans une voie nouvelle.

M. Duruy a eu l’honneur de l’initiative. Avant de procéder à la réforme de notre enseignement supérieur, il avait institué une double enquête sur les institutions étrangères et sur la situation du haut enseignement dans notre pays. La statistique publiée par lui en 1868 est précédée d’un rapport à l’empereur où sont décrits