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recrutant ses élèves dans l’enseignement secondaire, il est nécessaire d’établir entre les deux ordres d’enseignement une harmonie qui n’existe pas? En France, comme partout, l’enseignement secondaire cherche à résoudre un problème difficile : former les esprits par la culture classique, mais en même temps les initier aux idées et aux faits du monde moderne; car il ne se trouverait personne, même dans les rangs des défenseurs les plus convaincus de l’éducation classique, pour prétendre que nos contemporains puissent être élevés comme le furent les contemporains de Louis XIV. La solution n’est pas aisée; aucun pays ne peut se flatter de l’avoir trouvée, et l’on a entendu, dans la dernière discussion du budget de l’instruction publique en Prusse, des orateurs reprocher à l’enseignement secondaire d’être si exigeant qu’il retient ses élèves jusque passé vingt ans et qu’il les envoie à l’université fatigués et dégoûtés du travail. Du moins les envoie-t-il à l’université, car l’enseignement secondaire classique en Allemagne ne donne à personne l’idée qu’il soit la fin de l’éducation, et il prépare ses élèves à une culture supérieure. Chez nous, le baccalauréat est réputé le terme de l’éducation proprement dite ; on a donné tant de solennité à cette épreuve, de si gros privilèges à ce diplôme, on a si imprudemment accru les exigences des programmes qu’un bachelier s’imagine en avoir fini avec toute étude préparatoire désintéressée; le diplôme en main, il va s’inscrire parmi les candidats aux écoles spéciales ou bien au secrétariat des facultés de droit ou de médecine et, tranquillement, sans scrupule, sans inquiétude, il se prépare au métier qu’il a choisi. Le gouvernement étudiera-t-il les moyens de combattre ce préjugé funeste qui empêche les jeunes Français de devenir de vrais élèves d’enseignement supérieur, de vrais étudians d’universités?

Le gouvernement est-il convaincu de l’incompatibilité du système des universités et de celui des écoles spéciales qui enlèvent aux universités les maîtres, l’argent, et, ce qui est plus grave, l’élite même de la jeunesse? De supprimer ces écoles il ne peut être question; elles se défendraient trop bien, et l’on n’imagine pas un ministère assez fort pour détruire ou même transformer l’École polytechnique. D’ailleurs, ce serait une imprudence que de ruiner des institutions qui vivent et prospèrent au détriment d’institutions dont le succès, dont l’existence même est problématique. Mais il y a lieu de rechercher si quelques-unes de ces écoles ne doivent pas faire dès à présent aux universités futures le sacrifice de privilèges nuisibles. Elles ne prêtent point toutes aux mêmes critiques. Comparez, par exemple, l’École normale et l’École polytechnique : toutes les deux ont le tort d’être des maisons fermées et de condamner des jeunes gens, majeurs et électeurs, au déplorable