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démontré. Il est inutile de récriminer contre ces dispositions : il arrive toujours que les esprits sont attirés, comme par une force fatale, vers les recherches positives aux époques où, les anciennes opinions étant reconnues fausses, la nécessité s’impose d’un nouvel effort à la recherche de la vérité. Mais, s’il est un lieu où le défaut peut être corrigé, c’est l’université : l’étroite faculté, l’école spéciale close, sont faites pour l’aggraver et le rendre incurable. L’université ne donnera point seulement à chacun la dose de connaissances qui lui est nécessaire; elle élargira les esprits par le spectacle de son enseignement et par le contact qu’elle établira entre des jeunes gens de vocations diverses ; elle les fortifiera par la méthode même de l’enseignement supérieur; car l’enseignement supérieur, c’est, en fin de compte, une méthode : son objet suprême est d’élever les esprits au-dessus des connaissances de détail et de les rendre capables de cette haute dignité qui est la faculté de juger par soi-même et de produire des idées personnelles. « Tu es affranchi du joug de l’autorité d’autrui; tu es libre. Tu ne considéreras plus comme vrai que ce que tu auras puisé aux sources mêmes de la vérité. Tu ne jureras plus sur les paroles d’un maître. Tu consulteras les livres pour savoir ce qu’on a pensé avant nous, mais tu les fermeras pour penser par toi-même. » Ainsi parle en Allemagne le doyen qui remet à un jeune homme quittant l’université le bonnet de docteur en philosophie. Que le professeur ou l’étudiant soit chimiste, philologue, physicien, philosophe, astronome, le discours est le même, et cette formule est faite pour rappeler à tous que l’enseignement supérieur, à quelque partie que s’attache le maître ou l’élève, peut et doit, par sa méthode, affranchit l’esprit du joug de l’autorité d’autrui et le faire libre en lui apprenant à puiser la vérité à sa source. Un pays a besoin d’hommes libres de cette sorte : ce sont eux qui s’élevant, pour les dominer, au-dessus des habitudes acquises, sont capables d’entretenir cette faculté d’initiative sans laquelle on voit tomber en décadence lettres, sciences, industrie, politique, tout ce qui fait vivre une grande nation moderne.

Le père Didon semble attendre des universités deux sortes particulières de services. Il les voudrait charger de réconcilier l’état et l’église, la science et la religion, et il a écrit de très belles pages sur l’enseignement religieux à l’école primaire et au gymnase, sur l’enseignement de la théologie dans les universités, sur l’importance de la religion dans la vie et de la théologie dans la science ; mais, lorsqu’il convie le clergé de France à sortir de son isolement pour se mêler à la vie nationale; lorsqu’il proclame hardiment que ce serait un bienfait pour la science divine de sentir le contact vivifiant de la science humaine, et, qu’ambitieux de nous rendre les