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réveiller le prince; il accourut en grande hâte. Ivre de joie, il prit l’enfant, reconnut qu’il ressemblait à sa mère, l’appela son fils et déclara qu’il se nommerait du nom d’Antoine, Bianca Capello, sa bien-aimée, l’ayant conçu par l’intercession de ce saint patron.

L’œuvre de fourberie consommée, il importait d’en faire au plus tôt disparaître les instrumens; la dame du logis pourvut à ce soin avec une impitoyable assurance. Tous furent empoisonnés, jetés dans l’Arno ou simplement éloignés. Un certain Garzi, médecin à la solde de Bianca, se chargea de la mère de l’enfant; il l’enleva dès cette nuit et la conduisit à Bologne, où. lui-même, avant de mourir, l’instruisit du sort de son nouveau-né. La malheureuse, se sentant partout menacée, erra sous des noms supposés de ville en ville. Douze ans plus tard seulement, Bianca n’étant plus de ce monde, elle revint à Bologne et fit sa confession pendant le jubilé; la nourrice de don Antoine, ainsi qu’une autre femme de service également en possession du secret, fut noyée plus tard dans l’Arno. Quant à Giovanna Santi, sa bonne maîtresse l’ayant remerciée l’année suivante, elle rencontra sur les Apennins des gens masqués qui saluèrent son passage à coups d’escopette; blessée, mais non morte, comprenant d’où lui venait cette bordée, l’honnête créature porta plainte et raconta publiquement cette tragi-comédie de palais et les diverses récompenses que les acteurs avaient tirées de leur figuration.

Ainsi les moyens criminels pratiqués pour tenir secrète la supercherie en devaient amener la découverte. Cette histoire était la fable de Florence que le grand-duc n’en soupçonnait pas le premier mot. Il n’est pire aveuglement que celui qui ne veut pas être dissipé; son illusion lui suffisait, et, quelques années plus tard, Bianca l’ayant mis au courant, il ne l’en aima que mieux et n’en renonça pas davantage à sa paternité. « J’aime mes mauvaises pensées, » nous disait une très honnête femme. François chérissait son erreur; avoir un enfant de Bianca était son rêve; il l’avait et fermait les yeux. On s’explique moins le silence du cardinal; il est vrai que, s’il eût parlé, son frère ne l’aurait pas cru, et qu’en parlant, il eût risqué de se brouiller avec Bianca, dont il était l’obligé.

Cependant, du côté de l’Autriche, un orage se formait contre le grand-duc de Toscane; les outrages infligés à l’épouse avaient ému son frère, l’empereur Maximilien, et, depuis la naissance de don Antonio, les remontrances devenaient plus sévères. Un autre frère de Jeanne, l’archiduc Ferdinand, menaçait d’accourir à Florence et d’y soulever une émeute en emmenant sa sœur. La mort de Maximilien empêcha seule l’événement. Rodolphe, le nouvel empereur, mieux disposé pour le grand-duc, essaya de rétablir le bon accord; il voulut entendre les deux parties, puis les renvoya dos à dos. Cette fois, le raccommodement ne laissa sans doute rien