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VI.

Florence pleurait encore sa grande-duchesse, que la favorite, au milieu de ses amis, préludait à son propre avènement. « Tendez-moi votre main, disait-elle à l’un d’eux, je veux faire votre fortune. Le grand-duc m’a promis le mariage, et je sais qu’il tiendra sa parole. » Quel motif aurait eu ce Médicis de se parjurer ? n’avait-elle pas rempli toutes les clauses du contrat ? Nul obstacle ne s’opposait plus à son triomphe. François repoussait tout projet d’union avec les maisons souveraines. « Assez longtemps, répondait-il au cardinal, j’ai vécu pour l’état et pour ma famille ; j’ai le droit désormais de ne songer qu’à mon plaisir, et pour rien au monde je ne souffrirai qu’on m’impose un nouvel esclavage. » D’autre part, l’habile intrigante voyait à l’horizon plus d’un point noir ; le peuple l’avait en exécration à cause du martyre infligé à la défunte grande-duchesse, dont il vénérait la mémoire. François, circonvenu, n’entendait que récriminations, funestes prophéties. L’Autriche surtout l’inquiétait ; il consulta ses ministres et ses théologiens sur la validité de son engagement. Tous furent d’avis qu’elle était nulle ; il s’en rencontra même un, Giovanni Confetti, son directeur, qui fit de la rupture un cas de conscience. Ce dialogue vaut la peine d’être reproduit, et nous le donnerons ici tel que l’homme de Dieu l’a consigné dans ses papiers.

« Peu de jours après les funérailles de la grande-duchesse, le grand-duc me fit appeler par son page, Luigi Capponi, au sortir de la messe, et lui et moi nous trouvant seuls, voici comment il me parla.

« — Au moment de réaliser un de mes plus chers désirs qui d’ailleurs n’offense ni Dieu ni les hommes, je suis bien aise de consulter votre opinion. Bref, je veux épouser la signera Bianca ; qu’en pensez-vous ?

« — Monseigneur, la question que vous me posez est des plus graves ; j’ai besoin avant d’y répondre de vous interroger moi-même sur divers points : 1o cette promesse de mariage a-t-elle été faite du vivant de votre épouse ? 2o est-elle antérieure au meurtre de Buonaventuri ? 3o Votre Altesse a-t-elle, soit moralement en l’approuvant, soit de toute autre façon, trempé dans ce meurtre ? 4o avez-vous eu commerce avec la signora Bianca, et des enfans sont-ils issus de ce commerce ?

« Le Grand-Duc. — Ma femme et Buonaventuri vivaient encore lorsque je promis à la signera Bianca de l’épouser si jamais, elle et moi, nous étions libres. Peu après survint le meurtre de Buonaventuri, que j’avoue avoir connu d’avance et laissé commettre, mais