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sans l’avoir préparé ni conseillé. Avant comme après la mort de son mari, j’ai entretenu des relations avec la signora, mais sans en avoir eu d’enfans et, quant à don Antonio, ceux-là se trompent qui le prennent pour un fils né de notre union. Longtemps, j’ai cru moi-même qu’il était mon fils, je l’ai déclaré tel, et ce n’est que plus tard qu’elle m’a spontanément révélé la vérité dans tous ses détails. Quoi qu’il en soit, j’ai reconnu l’enfant et suis d’avis que ces diverses circonstances ne doivent pas m’empêcher de remplir mon engagement.

« — Moi, monseigneur, j’estime au contraire que ce mariage est impossible; trop de considérations et des plus sérieuses s’y opposent. Vous avez fait cette promesse de mariage à la signora Bianca et vous avez eu des rapports intimes avec elle alors que son mari et votre femme vivaient. Je consens que vous n’ayez point pris de part active dans le meurtre, mais vous en étiez prévenu et vous avez favorisé le crime par votre abstention; choses graves, monseigneur, très graves, et qui vous empêchent d’épouser la signora. Je dis mieux, ce mariage serait consommé qu’il faudrait le rompre, car il constitue un péché mortel. »

« Sur ces paroles d’admonestation, Son Altesse me congédia en m’invitant à me livrer à de mûres réflexions. Mandé de nouveau près d’elle à quelques jours de distance, je ne pus que lui confirmer mon sentiment, et comme j’invoquais le droit ecclésiastique : « A Dieu ne plaise ! s’écria le grand-duc, que j’ose entreprendre quoi que ce soit contre les saints canons! » Et solennellement, il abjura devant le crucifix tout projet d’alliance entachée de réprobation théologale.

Ainsi Bianca voyait échouer ses projets d’ambition; le coup fut terrible, elle en tomba malade et voulut se laisser mourir de faim. Le grand-duc, ému de pitié, mais persistant dans sa résolution, jugea néanmoins convenable d’octroyer à la pauvre Ariane une marque publique d’intérêt rétrospectif, et don Antonio fut légitimé, ce qui donna lieu à une nouvelle entrevue avec le père Confetti ainsi qu’à la conversation qui suit.

« Quand, une autre fois, je revis le grand-duc, il me dit : « Ne pouvant conclure ce mariage, je veux du moins légitimer l’enfant ; c’est une satisfaction que je dois à la signora Bianca Capello, atteinte si cruellement de sa répudiation qu’elle en est malade.» — A cela je répliquai par un argument irrésistible : « Légitimer don Antonio ! Mais alors même qu’il serait votre fils, vous ne le pourriez pas, don Antonio étant supposé ne dans l’adultère, et vous le pouvez encore bien moins, cet enfant n’étant pas le vôtre. L’intrigue n’eût-elle jamais été dévoilée, il vous serait donc interdit et d’épouser la Bianca et de légitimer un enfant étranger au détriment de vos héritiers