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voici ma main : vous êtes ma femme. » Et, ce jour-là, le bon moine aux pieux accommodemens sanctifia leur hyménée. Tout se passa dans le plus grand secret à cause du deuil de la cour; le cardinal lui-même ne connut cette nouvelle que par hasard. Venu à Florence pendant la maladie de son frère et trouvant Bianca installée nuit et jour dans la chambre, il en témoigna son étonnement, et François dit alors ce qu’il en était. Comment don Ferdinand prit cet aveu, le cardinal avait trop de circonspection pour le publier sur le moment. Accepter avec sérénité ce qu’on ne peut empêcher est une maxime propre aux gens habiles. Sans doute, il en avait la mort dans l’âme, mais il ne voulait ni chagriner son frère, ni interrompre ses bonnes relations avec Bianca. Peut-être aussi pensa-t-il qu’aux yeux des Florentins l’honneur de son frère aurait moins à souffrir de ce nouveau mode d’existence. Que le cardinal ait pu commettre par la suite le double empoisonnement dont l’accusent les chroniques vénitiennes, je n’en crois rien et je dirai plus loin mes raisons. J’estime cependant qu’il n’eut jamais à l’égard de Bianca qu’une certaine antipathie; même aux heures des services rendus à lui par elle, il la haïssait; l’esprit de cette femme le captivait, quelquefois même le dominait; il profitait de ses services, mais, comme belle-sœur, il la reniait in petto, trop fin et trop madré pour découvrir aucun dessous de sa propre conscience. D’ailleurs, l’idée ne lui vint pas que Bianca serait jamais déclarée grande-duchesse; il se disait que leur père Cosme avait ainsi épousé de la main gauche Camilla Martelli et qu’il en serait de même avec Bianca Capello. Une de ses lettres au chevalier Serguidi semble confirmer cette opinion : « Le grand-duc vient d’épouser la signora Bianca, d’où l’on aurait tort de conclure qu’il va la proclamer grande-duchesse ; j’augure que les choses se passeront encore une fois comme elles se sont passées pour la signora Martelli. »

C’était mal connaître la personne que de supposer qu’elle s’arrêterait à mi-chemin de sa fortune. François ne songeait, en effet, à ce moment, qu’à mettre de l’ordre dans les faits accomplis, à leur donner couleur honnête. Avoir épousé une fille échappée de chez ses parens et devenue sa maîtresse après avoir été la concubine d’un aventurier de basse extraction, c’était là de quoi réfléchir, sinon de quoi se repentir. S’adressant donc à l’opinion et cherchant à relever devant le monde une situation assez compromise, il écrivit au sénat de Venise pour obtenir que sa femme fût adoptée et saluée « fille de la sérénissime république. » Nous savons ce que signifiait alors ce titre inventé par les républicains des lagunes pour constituer aux filles de leurs patriciens le droit d’entrer de plain-pied comme princesses de sang royal dans les maisons souveraines : Siamo Veneziani, poi cnstian, » disaient les hommes, et les femmes : « Nous