Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/757

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occasion de le harceler, favorisant les conjurations et les fomentant au besoin. Sur l’Autriche, il n’y pouvait plus compter à cause de son mariage avec Bianca ; la disgrâce était consommée, ainsi qu’il avait pu s’en convaincre par l’attitude à Venise de l’ambassadeur impérial lors de la mission de Sforza; et quant à la France, elle était depuis longtemps un lieu de refuge pour tous les malfaiteurs bannis de ses états. A la vérité, l’Espagne lui restait, mais au prix de quels sacrifices! Philippe II le traitait en vassal et n’avait souci que d’embaucher ses soldats et de piller sa caisse. François n’ignorait pas que cette amitié ne durerait qu’autant qu’il fournirait les sommes demandées, et d’ailleurs que pouvait cette amitié? Que pouvait d’efficace un allié si lointain et lui-même inextricablement empêtré dans un si grand nombre d’expéditions calamiteuses? Le nécessaire pour François était de se rapprocher d’une puissance capable de mettre à la raison ses ennemis italiens, et les Vénitiens étaient en pareil cas la meilleure des ressources ; leur influence prédominait encore alors sur toute l’Italie; qui les avait pour soi ne craignait aucune ligue, et François, épousant la sérénissime république dans la personne de Bianca, se sentait désormais à l’abri des méchans complots. En outre, une entreprise l’occupait où les Vénitiens devraient aussi jouer leur rôle : fortifier l’ordre de Saint-Étienne établi par son père en 1562. Cette institution, destinée à protéger l’Italie contre les attaques des Turcs, avait en quelque sorte cessé de fonctionner depuis l’abdication de Cosme, et François comptait sur les Vénitiens pour l’aider à la relever. Habitués à guerroyer avec les Turcs, les Vénitiens lui seraient d’un secours actif en même temps que leurs ports offriraient des refuges à ses galères ; beaux rêves de chevalerie qui le prédisposaient aux concessions et dont les mirages servaient à le dédommager des petites misères de l’heure présente.

Moins facile aux illusions, son frère le cardinal Ferdinand voyait les événemens d’un œil plus défiant et plus sévère. Du mariage privé il en avait tant bien que mal pris son parti, mais tout ce tintamarre officiel, toutes ces apothéoses l’importunaient; il pressentait là des causes d’embarras politiques à l’extérieur, de trouble et de désorganisation dans la famille grand-ducale, et surtout un péril pour ses droits personnels. Son frère n’avait qu’un fils. don Philippe, qu’une misérable constitution condamnait d’avance à mourir jeune, et directement après ce triste rejeton, c’était à lui que revenait la couronne. L’élévation de Bianca au rang de grande-duchesse ne pouvait donc que nuire aux droits de Ferdinand; rien ne l’assurait que son frère n’aurait pas d’elle un autre fils capable d’hériter à défaut de don Philippe. Le cardinal connaissait la donzelle, il se souvenait de la célèbre mise en scène ayant accompagné la naissance