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IX.

Après la dissolution de la ligue des princes italiens contre Florence, le duc de Parme imagina de s’allier à l’ennemi de la veille et de marier son fils, don Vicenzo, avec la princesse Éléonore de Toscane. François ne demandait pas mieux que d’accueillir cette proposition; seulement, avant de rien conclure, il exigeait que le jeune prince « eût fait ses preuves. » Quelles preuves? Ici, nous entrons en plein Boccace. Ce don Vincent était, paraît-il, sous certains rapports, un assez pauvre homme, ou, du moins, il passait pour tel. Or le grand-duc voulait d’abord des garanties, peu soucieux de voir son gendre chansonné. Devant une pareille sommation le Farnèse se rebiffa, le jeune coq se dressa tout rouge sur ses ergots, se crêta, cria, tempêta : « Fort bien ! répondit le beau-père, mais tout cela ne me prouve pas que vous soyez un coq, et c’est ce que je prétends tirer au clair avant de vous donner ma fille. » Les négociations, deux fois reprises, allaient définitivement se rompre. C’était le moment pour Bianca de montrer ses talens et de se rendre utile à la famille. Elle en parla au cardinal, qui en parla au pape, qui rassembla ses cardinaux, et, jugeant en dernier ressort, opina que le bien des deux maisons princières commandait, en effet, une enquête. La preuve devrait donc avoir lieu, mais avec cette réserve qu’on s’interdirait de la faire un vendredi.

Bianca se mit à la recherche d’un être féminin ayant l’air et la tournure de la princesse Éléonore, et l’on convint que Venise serait le théâtre de l’expérience. Don Vincent rechignait bien toujours, mais il lui fut si nettement démontré que c’était l’unique façon de sortir d’une situation ridicule que le jeune coquebin finit par céder à la volonté du grand-duc et du souverain pontife. Persister dans un refus, autant renoncer à se marier jamais, et puis ces quolibets sifflant à ses oreilles, se voir la fable de l’Italie ! Ne valait-il pas mieux se prêter de belle humeur aux circonstances? Le diable était de ce témoin et juge du camp que le grand-duc avait prescrit dans le programme. Il s’appelait le chevalier Belisario Vinta et avait pour mission expresse d’accompagner le prince à Venise et de ne pas le perdre de vue une minute pendant les trois jours de l’opération. Un joli détail qui réclamerait des vers de La Fontaine : le chevalier Belisario Vinta devait, en outre, constater dans son procès-verbal qu’il n’avait été employé ni philtre magique, ni potion pharmaceutique, ni moyen artificiel quelconque. De Florence à Venise, le voyage s’effectua sans incident; mais au débarquement, l’altesse eut une défaillance : c’était mal débuter. Heureusement, le lendemain, les choses se relevèrent, et la troisième journée fut si brillante qu’après avoir pris lecture du rapport du chevalier Vinta,