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rendre moins inégales les conditions humaines. Nous avons vu au contraire que l’état ne saurait être indifférent aux droits des derniers occupans ; la société entière a des devoirs d’assistance et de protection envers eux ; ce n’est pas de sa part charité pure, mais justice réparative. Comme représentant de la justice, l’état doit rendre parfaitement libre et même faciliter autant qu’il le peut l’accession de la propriété aux nouveaux occupans, car la propriété représente, dans nos sociétés modernes, l’indépendance personnelle : il y a un certain équilibre des possessions et des pouvoirs personnels nécessaire à l’égalité réelle des droits civils ou politiques. Point de vrai droit, a dit Guizot, sans le pouvoir de l’exercer, et point de vrai pouvoir sans garantie : la meilleure des garanties est l’indépendance attachée à la possession. L’état, sans doute, ne peut assurer à tous des possessions effectives, mais il doit favoriser la circulation et la répartition entre tous des premiers instrumens de travail, soit matériels, soit intellectuels. Tout en respectant le caractère individuel de la production et de la consommation, l’état a donc, selon nous, le devoir et le droit d’agir sur le phénomène social de la circulation, d’en supprimer toutes les entraves légales, d’en aider même l’essor et d’en assurer la régularité par des moyens positifs. Ce qui n’est pour les économistes qu’une fonction possible et licite de l’état est à nos yeux, en principe, une fonction nécessaire et obligatoire. C’est pour cette raison qu’il doit ouvrir des communications de toute sorte entre les citoyens, afin qu’ils puissent entrer en relation les uns avec les autres pour produire, échanger, consommer. C’est pour cette raison qu’il a le droit d’intervenir dans la question des routes, des postes, des télégraphes, des monnaies, des échanges internationaux, toutes choses qui sont vraiment des services publics. C’est pour cette raison surtout qu’il doit répandre largement l’instruction générale et professionnelle, car l’instruction est l’instrument de travail par excellence dans les sociétés modernes, c’est le premier capital, le premier fonds social mis à la disposition des nouveau-venus. Parmi les instrumens de travail intellectuels, on peut ranger les informations statistiques, tous les renseignemens propres à éclairer l’industrie et le commerce, à guider les ouvriers et les patrons : ce sont là, pour tous, des moyens de se diriger et de se rencontrer non moins indispensables dans les pays civilisés que l’éclairage des rues aux frais du public.

Voilà, en son ensemble, la tâche régulatrice de l’état ; les applications particulières sont une question de mesure, de sagesse, d’opportunité. Les économistes veulent que l’état s’abstienne presque partout, les socialistes qu’il se mêle de tout; nous croyons qu’il faut distinguer ce qui est vraiment du domaine de l’état et ce qui n’est pas de sa compétence. Il serait d’ailleurs utopique de vouloir