Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la reconnaissance d’un contrat. L’état est lui-même intéressé à maintenir par là et à favoriser le maintien de ce que M. Le Play appelle la famille-souche avec son patrimoine familial. Mais peut-être l’état se montre-t-il trop généreux lorsqu’il étend l’hérédité naturelle, en l’absence de testament, à des parens très éloignés souvent inconnus du mort. Le lien familial est ici tout artificiel et prend indûment la place du lien social, de la grande parenté civique. Dans les cas de ce genre, il y aurait justice à considérer la société comme l’héritier naturel de celui qui n’a conservé que ses liens sociaux. Dans tout héritage, d’ailleurs, on peut dire qu’il y a une part sociale encore plus évidente que dans la propriété. La réserve en faveur de la société se fait actuellement par l’impôt sur les successions, dont l’organisation présente est, par malheur, funeste aux petits héritages, qu’elle absorbe, et trop favorable aux grands.

Outre la rente foncière, la rente mobilière, et les accumulations excessives d’héritages, une quatrième cause qui peut immobiliser la propriété dans les mêmes mains, ce sont les associations à patrimoine inaliénable, non moins contraires au droit public que les « substitutions » de l’ancien régime. Sur ce point, les communautés religieuses sont encore trop habiles à éluder la loi. Les associations de capitaux industriels appellent aussi la surveillance de l’état. Elles peuvent, en effet, produire à leur tour les conséquences du monopole, car il y a telle société de capitaux assez considérable pour défier en fait la concurrence. De là le droit reconnu à l’état, même aux États-Unis, d’imposer un tarif aux services et aux produits des grandes compagnies, surtout anonymes, et de les soumettre à des conditions d’autorisation préalable, de publicité, de surveillance administrative. Notre législation contient, à ce sujet, des lacunes reconnues de tous les économistes[1].

Malgré les maux qu’elle engendre de nos jours, la guerre du capital et du travail est provisoire : elle est la caractéristique de

  1. On voit, dit M. Leroy-Beaulieu, l’état créer sans motif des sociétés financières privilégiées dont il nomme les directeurs ou les gouverneurs, attribuant ainsi à des incapables de riches sinécures qui n’ont été gagnées d’ordinaire que par la courtisanerie et l’intrigue. On le voit encore tolérer un brigandage, une piraterie effrontée, sous le couvert des sociétés anonymes d’émissions d’actions ou d’obligations. L’état laisse de prétendus financiers, avec le secours d’une presse vénale, dérober audacieusement, publiquement, les épargnes des petites gens; il ne fait aucun effort pour arrêter les spoliations dont il est le témoin, dont beaucoup de membres des assemblées législatives, en leur qualité d’hommes privés, il est vrai, sont les complices et les bénéficiers. L’état, qui punit sévèrement l’escroc de bas étage et le voleur vulgaire, respecte, honore, charge de décorations et de cordons les grands détrousseurs du public. La corruption des sociétés anonymes est aujourd’hui la cause principale, presque la seule, des énormes fortunes. » (Page 566.)