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drait dire par un noble orgueil, — on conserve la mémoire de ceux qui ont illustré le nom dans les grandes charges de l’état, on ne sait généralement rien des aïeux au-delà de trois générations. L’aïeul, c’est-à-dire le père du grand-père, est l’x de la famille, et, quant aux grand’mères, la nuit qui les enveloppe est encore plus obscure. J’ai entendu traiter ce sujet avec une désinvolture qui m’a intéressé ; car c’est un côté vraiment intéressant de l’histoire de la civilisation moderne, qui use tout, consume tout, ridiculise tout, j’allais dire : même ce qui est sacré ! — C’est un reste de simplicité.

Les ancêtres s’appellent les vieux, et il faut ajouter à ce mot un sens qui n’est pas dans le dictionnaire. Pauvres vieux, en effet, moins chers que les tapisseries antiques qui décorent les escaliers somptueux des hôtels neufs, dont le souvenir a moins de prix qu’un bahut moisi ou que des faïences fêlées, et dont les noms à demi effacés sur les pierres tombales des cimetières ne sont reconnus par personne ! Ils sont entrés dans le néant !

J’ai visité les cimetières, ces villes des morts, tristes comme des lieux maudits. Les immortelles noircies par le temps jonchent les tombes anciennes, qui ne connaissent plus les fleurs nouvelles. Ah ! j’exècre ces immortelles, ces fleurs sans parfum et sans fraîcheur, qui ne se fanent pas, et qui symbolisent l’hypocrisie du souvenir. Elles dispensent de revenir ! Les roses, elles, ne vivent que l’espace d’un matin…

Nous portons nos morts dans les champs, sur les collines qui entourent les villes, aussi haut que nous le pouvons, plus près du ciel ; et les tombes que nous élevons à la mémoire de nos vieux y resteront indéfiniment, au milieu de la nature immortelle. Les morts dorment en paix !

Cependant j’ai lu que les morts étaient honorés en Occident : et, en effet, j’ai vu de somptueuses funérailles et des deuils superbes ; j’ai vu, le jour de la fête des Morts, la foule encombrer les cimetières ; mais qu’ils sont peu nombreux, les vivans, auprès de la grande foule des morts dont le souvenir n’a pas duré ! Le culte des morts va-t-il plus loin que le bout de l’an ? Peut-être pas.

Les cérémonies concernant le culte des ancêtres ont lieu en Chine chaque année au printemps et à l’automne. Ces cérémonies ont pour caractère particulier la reconnaissance et se font avec une grande solennité. Ces anniversaires sont l’occasion de réunions de famille ; c’est déjà un résultat qui a son bon côté.

Dans les familles fortunées, le temple des ancêtres est assez vaste pour contenir des appartemens où sont reçus les membres de la famille qui n’habitent pas la même ville. On y voit même des salles disposées pour servir d’école, et comme les temples sont générale-