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vons en Chine une rigoureuse étiquette à l’égard des distinctions sociales acquises. On m’a dit que l’étiquette n’était plus de mise en France : je l’ai cru sans peine.

Le monde de l’Institut a une grande dignité. C’est un corps qui rappelle celui des lettrés ; il forme, je crois, la seule compagnie qui n’ait pas vu abaisser son crédit. Il est vrai que les conditions qu’il faut remplir pour en faire partie sont restées les mêmes ; il suffit d’être le premier dans son ordre. Cela seul explique le maintien du rang. J’admire grandement cette institution qui crée l’aristocratie de la science et dont les palmes sont glorieuses. Ce sont vraiment les seuls insignes qu’un homme puisse s’enorgueillir de porter ; car ils confèrent un honneur qui honore.

Les femmes chinoises, comme je l’ai déjà dit, portent les insignes du grade de leurs maris et suivent leur qualité. C’est un usage qui devrait être étendu à beaucoup d’autres positions élevées. Cela ferait naître l’émulation et donnerait aux femmes mariées un privilège qu’elles apprécieraient hautement, et que beaucoup de maris trouveraient très salutaire. Il est très bon que l’ambition de la femme serve de prétexte au mari pour s’élever ; il est très bon aussi que le mari ait la satisfaction d’anoblir sa femme ; ce sont des petits cadeaux qui entretiennent l’amitié, cette fleur rare du mariage dont les épines n’ont pas toujours des roses.

L’esprit du monde m’a paru surfait : je ne l’ai pas retrouvé dans le monde de l’esprit. Il se compose d’inutilités dont le charme ne s’impose pas. À première vue il plaît, puis il lasse bientôt. C’est du bruit sans harmonie.

J’ai remarqué que la distinction chez les hommes ne se soutenait pas. En présence de la maîtresse de la maison, ils sont d’une politesse exquise ; mais à peine sont-ils délivrés, qu’ils se croient au club et deviennent extrêmement communs. En France, j’ai entendu critiquer le respect de son rang comme étant une pose. Il est cependant indispensable d’être ce qu’on représente, ou alors, il n’est plus possible de s’entendre sur le sens des mots.

Il n’y a que la canaille qui affirme hautement son rang. Celle-là seule a conservé sa fierté, quelque dégoût qu’elle inspire. J’ai vu, dans nos contrées d’Orient, des mendians qui avaient des airs de rois en exil ; en Italie, j’ai rencontré d’anciens Césars sous des manteaux de haillons. Ces gens-là avaient un chic inimitable. Sans doute, s’ils avaient dû revêtir un habit, ils auraient perdu bien vite cette noblesse de l’air qui impose, malgré tout, le respect. Le costume a une grande influence sur les mœurs, et c’est un des points d’interrogation les plus fortement soulignés dans mes notes d’impressions.

Quelle raison a pu faire supprimer ces magnifiques costumes qui