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et sans nuances, enfermées dans des contours très apparens. Elle vise à écrire bien plus qu’à peindre, et les longues suites de figures qui se déploient sur les murailles, sur les coffrets funéraires ou les rouleaux des papyrus, sont surtout destinées à représenter des faits dont le souvenir doit être conservé : ce sont des archives et non des décorations. Le paysage n’y tient qu’une place tout à fait restreinte. À peine çà et là découvre-t-on quelque arbre indiqué à la façon rudimentaire des dessins que tracent les enfans, et dont la forme spéciale permet seule de reconnaître parfois un palmier ou un cyprès. Mieux que ces peintures, les bas-reliefs nous renseignent sur la représentation de la nature telle que l’ont entendue les Égyptiens. Encore, ainsi que le remarque M. Perrot, est-ce « la figure de l’homme et, après elle, la figure de l’animal qui occupent presque toute la place ; les accessoires, le paysage, les fabriques sont d’ordinaire à peine indiqués[1]. » Il n’est pas d’art cependant qui nous ait laissé des informations plus abondantes et plus variées sur la vie rustique et ses diverses occupations. Ici des laboureurs tracent leur sillon avec une charrue attelée de bœufs ; là des moissonneurs récoltent des épis bien garnis de grains ; plus loin des bergers, avec leurs chiens, poussent devant eux des troupeaux en marche, ou bien des pêcheurs retirent leurs filets remplis de poissons. Toutes ces scènes ne sont que très rarement localisées, et la nature, qui devrait leur servir de cadre, est le plus souvent absente. Une bande mince, comprise entre deux lignes horizontales, simule le terrain ; des poissons, des écrevisses ou des crocodiles servent à caractériser les différens cours d’eau. La perspective est tout à fait élémentaire ; on n’y découvre aucune trace de cette représentation rationnelle qui consiste à atténuer les dimensions des objets à proportion de leur éloignement. Les personnages sont supposés au même plan, et, — ainsi qu’il arrive souvent à l’origine de tous les arts, — c’est en général leur importance et leur dignité qui règlent leur grandeur relative. Dans un bas-relief des tombeaux de Ti, représentant une chasse dans des marais, les figures, la barque et les animaux sont reproduits avec exactitude ; mais, afin d’éviter la confusion, les papyrus qui forment le décor de cet épisode ont été indiqués par un fond régulièrement rayé de lignes verticales. Ce n’est qu’au sommet du bas-relief que ces papyrus s’épanouissent en fleurs et en boutons, et, parmi eux, nous découvrons des oiseaux de toute sorte couvant sur leurs nids ou entourés de leur jeune famille à peine éclose, qu’ils défendent contre l’agression de petits quadrupèdes qui viennent l’attaquer. La crainte d’embrouiller par les détails de la végétation la scène

  1. Histoire de l’Art dans l’antiquité. L’Égypte, t. I, p. 376.