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ni rien qui ressemble à l’expression d’un sentiment individuel. A peine pourrait-on citer quelques rares ouvrages où l’observation de la nature se marque par des traits un peu plus précis et mieux caractérisés. Tel est surtout ce bas-relief du Musée britannique qui représente le Festin d’Assourbanipal. A demi couché à côté d’une de ses femmes, le monarque s’est fait servir un repas dans le jardin de son harem. Le couple royal repose sous une tonnelle autour de laquelle s’enroulent les tiges flexibles d’une vigne chargée de grappes et dont les folles pousses se terminent par des vrilles. Tout autour s’élèvent des palmiers et d’autres arbres ; des fleurs, des oiseaux qui voltigent de branche en branche égaient aussi ce lieu charmant, et des esclaves avec de grands éventails entretiennent la fraîcheur, ou font retentir l’air du concert de leurs chants et de leurs instrumens. Au premier aspect, on reste frappé de l’impression de bonheur et de joyeux épanouissement qui se dégage d’une scène à laquelle la grâce du décor ajoute toutes ses séductions, et qui surprend d’autant plus qu’on ne s’attend guère à trouver de telles images dans l’art assyrien. Mais un examen plus attentif permet de découvrir au milieu de cette idylle la tête coupée du roi des Élamites, fait prisonnier dans la dernière guerre, qui pend accrochée à un arbre voisin. Revenu victorieux dans sa capitale, Assourbanipal prend un plaisir sauvage à réjouir ses yeux de ce hideux trophée, dont le contraste avec cette nature en fête rappelle d’une manière significative le singulier mélange de mollesse voluptueuse et de férocité que l’histoire nous montre dans les mœurs asiatiques.


II.

Avant de retrouver en Grèce et en Italie le développement historique de l’art dont nous venons de signaler les premières manifestations, il nous paraît utile de rechercher parmi les nations voisines de l’Assyrie la trace de ces représentations de la nature que nous nous proposons d’étudier, dans l’antiquité. Qu’il le veuille ou non, jamais un peuple ne parvient à s’isoler entièrement de ses voisins et, avec les progrès de la science, on arrive à reconnaître des analogies et des pénétrations mutuelles là où d’abord on avait cru pouvoir affirmer des différences bien tranchées. C’est ainsi que des études récentes tendent à démontrer, — et certaines données décoratives communes à ces trois pays confirment cette opinion, — que la Chine ancienne n’a jamais été complètement fermée ni à la Perse, ni à l’Inde, et que sur ces deux dernières nations à leur tour, l’influence de l’Assyrie à laquelle elles confinent s’est originairement exercée. Bien que la chronologie, encore fort