Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/886

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle-ci, privée du clair-obscur et bornée à l’étude exclusive des formes humaines, s’attachait surtout au dessin, à la beauté des contours, à la netteté des silhouettes, et à la science de la composition. Ses ouvrages, d’un coloris très sobre, souvent même presque monochromes, conservaient un caractère sculptural ; ce n’étaient en quelque sorte que des bas-reliefs peints.

Avec la période alexandrine et la fusion qu’elle amena entre les diverses civilisations du monde ancien, une révolution profonde allait se produire. Les croyances avaient vieilli, et la perfection avec laquelle tous les types divins avaient déjà été exprimés devait provoquer dans l’art des essais de renouvellement auxquels la littérature indiquait la voie. Encouragée par les Ptolémées, l’étude des sciences, dont Aristote avait si brillamment provoqué l’essor, témoignait, comme la poésie elle-même, de ces aspirations nouvelles. Les noms de Théocrite, de Bion, de Moschus nous montrent l’importance du mouvement qui inclinait alors les esprits vers la nature : elle apparaît dans leurs écrits comme ayant son intérêt propre, et pour la première fois ses beautés sont senties et célébrées pour elles-mêmes. La domination romaine, en mêlant encore plus intimement les génies des races qui lui étaient soumises, acheva de rendre ce mouvement plus décisif. Avec la richesse et les loisirs qu’elle amena pour les maîtres du monde, nous voyons naître ces goûts de villégiature, cet amour et cette observation de la vie agreste que Virgile et Horace ont su nous peindre avec des traits si personnels et si exquis. Quintilien, s’élevant bientôt après contre les abus de ce sentiment, en vient même à blâmer, comme peu favorables à l’étude, ces cabinets de travail dont la situation trop pittoresque est une cause de distraction « et ne permet que difficilement à l’esprit de suivre ses pensées. » Plus tard, avec la décadence de la poésie, les versificateurs s’étendent complaisamment et hors de propos sur ces descriptions de la nature qui, dans les ouvrages des anciens, n’occupaient qu’une place restreinte et faisaient toujours corps avec le sujet.

L’art s’était conformé à ce mouvement des esprits. Comme la religion, il avait perdu chez les Grecs son caractère national pour devenir cosmopolite, et l’homme avait cessé d’être le centre et l’objet unique de ses créations. Mieux qu’aucun autre art, la peinture pouvait se prêter à ces tendances nouvelles, qui d’ailleurs devaient se manifester jusque dans la sculpture par l’emploi de ces perspectives fuyantes introduites alors dans les bas-reliefs, par la multiplicité croissante de leurs plans, et même par la prétention malencontreuse d’y représenter des paysages purs. Mais c’est à la peinture seule que nous allons désormais demander nos renseignemens; c’est elle, en effet, qui, pour le sujet qui nous occupe, nous fournit