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la fortune chancelante de Barras; mais cette satisfaction toute platonique eût-elle suffi longtemps à l’impatiente ambition du jeune général ? La guerre était finie : il n’y avait plus rien de grand à tenter du côté de l’Allemagne, et c’était le moment que le directoire, épuré, choisissait pour réunir à son commandement celui de l’armée du Rhin. En vérité, l’avantage était mince : on le traitait comme un simple Augereau ; après l’avoir compromis, on le tenait à distance, et on lui marchandait un rôle à sa taille. Il est permis de supposer que ces pensées et d’autres du même ordre durent singulièrement agiter une âme déjà prédisposée par elle-même à l’inquiétude et à l’amertume. « Est-ce que tout est fini? Que va-t-on faire? » C’est son premier mot : « Marquez-nous le but que nous devons atteindre et nous y voilons (sic). (Lettre au directoire du 8 septembre, 22 fructidor). » « Barras, écrit-il d’autre part, m’a donné en quatre lignes d’excellens détails. Il y avait dans sa lettre une liste d’hommes arrêtés, au nombre de seize... Mais quels sont-ils ?.. Quels sont les hommes destinés à remplacer les directeurs? En politique, ainsi qu’en guerre, c’est peu de gagner une bataille, il faut en assurer le succès par sa conduite ultérieure... Qu’a fait vendémiaire à la république? Si, après cette affaire, on avait cassé les élections chouannes, nous n’aurions pas vécu deux années dans l’anxiété la plus cruelle. C’est dans ce sens que vous devez agir... Demandez de suite un travail pour les armées. Faites qu’on épure les officiers-généraux. Beaucoup tenaient à la faction... Qu’est devenu Mathieu Dumas? Je gage que cet intrigant fameux surnagera. Carnot nous a envoyé mille espions ; ils pullulent sous toutes les formes. »

Ils ne pullulèrent pas longtemps : dès le 27 fructidor, l’épuration de l’armée de Sambre-et-Meuse était achevée. Joignant l’exemple aux conseils, et sans attendre les ordres du directoire. Hoche faisait son petit coup d’état particulier pour appuyer celui du gouvernement. Durement, sur de simples apparences et sans se laisser arrêter par les plus brillans états de service, il frappait plusieurs officiers-généraux, ses anciens camarades, Ferino, Souham, Colaud, etc. destituant ou mettant en état d’arrestation les uns, envoyant les autres à Paris pour y rendre compte de leur conduite, rouvrant ainsi sans l’excuse du salut public, en plein succès, l’ère des proscriptions. Et comme si ce n’était pas assez de ces violences, par une aberration qu’on voudrait pouvoir attribuer à un état délirant, ne pouvant l’atteindre autrement, il portait contre l’héroïque Kléber lui-même cette dénonciation inouïe : « Mon devoir enfin me prescrit de vous parler d’un des ennemis les plus redoutables du directoire et qui est près de lui. Kléber est parvenu à entraîner dans le parti de Pichegru, son ami intime, beaucoup d’hommes qui avaient été les admirateurs de ses talens. J’ai malheureusement la preuve qu’il a séduit, par ses affreux propos et par ses offres,