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rendaient indispensable. Au fond de la retraite où il vit aujourd’hui, il a pu emporter la consolation de n’avoir jamais fait que le bien dans les délicates fonctions qu’il a exercées avec une supériorité dont le souvenir n’est pas près de s’éteindre[1]. Avec un pareil homme on pouvait s’entendre. Le baron de Livois ne l’a pas oublié. Par une étrange coïncidence, ce fut M. Lecour qui renouvela un article du règlement des Catherinettes et des Sœurs de Saint-Gervais ; il engagea le président de l’œuvre à limiter l’hospitalité de façon à n’accorder le droit de séjour que pendant trois nuits. En faisant inscrire cette clause dans les statuts, j’imagine qu’il avait en vue le nombre croissant des provinciaux qui encombrent Paris et qui s’y prolongeraient au détriment de la sécurité publique si on leur ouvrait un refuge permanent, ou même si on les y recevait à des espaces de temps peu éloignés. C’est ainsi que furent déterminées les conditions qui sont la base de l’Hospitalité de nuit : on n’y est reçu que la nuit, on n’y est reçu que pendant trois nuits consécutives, on n’y est reçu de nouveau qu’après un intervalle de deux mois ; pour éviter toute fraude, les maisons échangent chaque jour, entre elles, les feuilles de présence de la veille.

L’autorisation de la préfecture de police était accordée ; la première mise de fonds, — 50,000 francs environ, — avait été versée par les fondateurs ; on était prêt à fonctionner ; il ne manquait que le local, qui n’était point facile à trouver. Après bien des recherches, on le découvrit au milieu de la plaine Monceaux, dans l’ancienne rue d’Asnières qui est aujourd’hui la rue Tocqueville. La plaine Monceaux ! autant parler du chemin de l’égout de Gaillon, qui est la rue de la Chaussée d’Antin, ou du port de La Grenouillère, qui est le quai d’Orsay. On a à peine le temps de vivre une soixantaine d’années que Paris est devenu méconnaissable. Là où j’ai vu des champs couverts de moissons, des jardins maraîchers, s’est élevée une ville dont l’avenue de Villiers est l’artère centrale ; des maisons, des hôtels et même un palais ont pris la place des masures à toits de chaume qui jadis étaient disséminées dans la plaine aux environs du petit village de Monceaux. Je me souviens, lorsque j’étais enfant, d’avoir été conduit dans une ferme où l’on buvait du lait et où l’on mangeait de la galette de paysan. C’était une maison de nourrisseur, qui sentait la vacherie et où l’on achetait des œufs frais. Une large porte charretière s’ouvrait sur une cour où les poules éparpillaient le fumier en cherchant la picorée ; à droite, l’étable abritait les bestiaux ; en face une énorme grange était

  1. M. Lecour semble avoir résumé sa vie administrative dans cette phrase que je lis, page 16 de la Charité à Paris : « Sur toutes les espèces les considérations d’humanité priment la règle écrite. »