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de Courtois. Après avoir rappelé les méfaits du tyran, l’orateur thermidorien, dans une péroraison pathétique, venait de le représenter, mourant, dans l’antichambre du comité de salut public, « étendu sur une table, une boîte de sapin pour tout oreiller, essuyant la salive ensanglantée qui sortait de sa bouche avec l’étui d’un pistolet sur lequel était cette adresse : Au grand monarque, titre qu’avait toujours ambitionné le lâche scélérat. » À ce discours rempli de plates injures et suant encore la peur avait succédé l’hymne du 9 thermidor (paroles non moins plates[1], de Chénier), chanté par l’Institut national de musique ; après quoi, pour achever de mon- ter les esprits, par deux fois les tambours avaient sonné la charge. Soudain, un grand silence, interrompu presque immédiatement par un tonnerre d’applaudissemens : Tallien entre, encore tout couvert d’une savante poussière, et monte aussitôt à la tribune : « Représentans du peuple ! s’écrie-t-il, j’arrive des rives de l’océan joindre un chant de triomphe aux hymnes triomphales qui doivent célébrer cette grande journée. » En effet, ce n’est pas un rapport qu’il lit, c’est une espèce d’incantation lyrique, pleine d’expressions emphatiques, d’images énormes et de louanges hyperboliques à l’adresse de l’armée, et naturellement de bas outrages à l’adresse des émigrés. D’abord, c’est « l’océan qui tressaille à l’aspect de nos braves, armés par la vengeance, guidés par l’enthousiasme de la république, poursuivant au sein des flots, qui les rejettent sous le glaive de la loi, ce vil ramas de complices, de stipendiés de Pitt,.. ces modernes paladins. » Puis, c’est l’armée qui s’élance, après la prise du fort Penthièvre, sur les traces du général et des représentans du peuple et qui « parcourt en un clin d’œil cette presqu’île d’une lieue et demie de profondeur. » L’ennemi fuit de toutes parts. Un moment, quelques-uns des siens essaient de se rallier sur une hauteur; mais l’aspect de deux colonnes, qui vont les envelopper, éteint chez eux « ce léger effort de courage. » Ils reprennent leur course et se hâtent de rejoindre les compagnons « de leur honte. » Enfin, chassés « comme un vil troupeau, ils se réunissent tous sur un rocher, au bord de la mer, et c’est à ce rocher que vient se briser leur fol orgueil. C’est là que tout ce que l’île contenait d’ennemis vient se rendre à discrétion. Quel spectacle pour la France, pour l’Europe, que ces émigrés, si fiers, déposant humblement les armes entre les mains de nos volontaires ! »

Ici Tallien s’arrête un moment pour jouir de son succès; mais, presque aussitôt, levant le bras, il ajoute : « Je tiens à la main l’un

  1. Salut, neuf thermidor, jour de la délivrance !
    Tu vins purifier un sol ensanglanté;
    Pour la seconde fois tu fis luire à la France
    Les rayons de la liberté.